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17 de abril de 2018

3 questions à Majed Nehmé sur les frappes en Syrie

Accusant l’armée syrienne d’avoir perpétré une attaque chimique à Douma, les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne ont mené des frappes répressives dans la nuit de samedi et dimanche. Ancien opposant syrien et rédacteur en chef d’Afrique-Asie, Majed Nehmé analyse les enjeux de cette attaque et le contexte dans lequel elle survient. “La victoire de l’État syrien est annoncée, tranche Majed Nehmé, et elle va chambouler tous les rapports de force.”


L’attaque chimique présumée soulève beaucoup de questions. Pourquoi les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne ont-ils répliqué par l’envoi de missiles avant même que les inspecteurs de l’OIAC se rendent sur place pour mener une enquête ? Pourquoi n’ont-ils pas attendu d’avoir des résultats qui auraient pu légitimer des frappes vivement critiquées ?

Ils n’ont pas attendu, car il y a peu de chances qu’une enquête indépendante puisse légitimer leurs accusations. Avant que l’affaire éclate, les Russes avaient prévenu que les rebelles préparaient quelque chose. De plus, il faudrait que le gouvernement syrien soit totalement stupide pour utiliser des armes chimiques de façon aussi inutile et contre-productive. En effet, son armée a marqué des points importants ces dernières semaines. Elle a notamment repris toute la province qui va du Liban à la frontière jordanienne. Il restait une petite poche de résistance, mais les éléments les plus durs ont accepté de partir et un accord d’union nationale a été conclu. Les négociations pour une désescalade sont en cours à Deraa, au sud de Damas. À Douma, dans la Ghouta orientale, les derniers rebelles se sont également rendus. C’est une perte stratégique aussi importante que celle d’Alep pour ceux qui avaient planifié la guerre contre la Syrie. À la Ghouta, 40.000 hommes armés étaient stationnés aux portes de la capitale, prêts à intervenir pour renverser le gouvernement. Mais l’évolution du conflit ne leur a pas été favorable.

Battus sur le plan militaire, les impérialistes ont donc mené ce baroud d’honneur et essaient de revenir par la fenêtre, sur le plan diplomatique. Emmanuel Macron a beau déclarer vouloir proposer un plan politique pour la Syrie, c’est fini. Les Etats-Unis l’ont visiblement compris. Le Wall Street Journal a ainsi révélé le projet de remplacer les soldats américains présents à l’est de la Syrie par des forces arabes. Ces forces seraient composées par l’Arabie saoudite, les Émirats Arabes Unis et l’Égypte. Mais ce ne sont pas 2.500 soldats qui vont changer le cours de la guerre et ces pays sont déjà empêtrés dans d’autres problèmes.

Les Etats-Unis auraient renoncé à leur projet de remodeler le Grand Moyen-Orient ?

Ce projet peut valser aux oubliettes de l’Histoire, c’est un fiasco sur toute la ligne. Les Etats-Unis ont cassé l’Irak pour le donner sans le vouloir à l’Iran. En effet, depuis la chute de Saddam Hussein, Téhéran exerce une grande influence chez son voisin. En Syrie aussi, l’Iran dispose maintenant d’une force redoutable. Le Hezbollah devient également plus fort de jour en jour. Au grand dam d’Israël qui n’a plus gagné une guerre depuis 1973. Le remodelage du Grand Moyen-Orient est donc un échec total. La situation a évolué en faveur de ceux qui étaient opposés aux visées impérialistes des Etats-Unis. Et cela ne concerne pas uniquement le Moyen-Orient. Lorsqu’il était Secrétaire d’État, Henry Kissinger s’était employé à empêcher toute alliance entre la Russie et la Chine. Mais depuis, Washington pousse chaque jour un peu plus ces deux pays dans les bras l’un de l’autre.

Cette situation rend fous de rage les stratèges de l’atlantisme. D’autant plus que Trump, avec son America First, prône une forme d’isolationnisme. Mais il y a évidemment des divisions au sein de l’establishment US. On vient d’apprendre par exemple que Trump aurait piqué une colère noire après que Nikki Haley, ambassadrice US auprès des Nations Unies, a annoncé de nouvelles sanctions contre la Russie. Le président a d’ailleurs décidé de reporter ces sanctions. Cela donne une idée du désordre actuel. Si Trump veut se concentrer sur les problèmes intérieurs, d’autres poussent vers une nouvelle guerre froide. Mais c’est une guerre d’une autre nature, bien plus inquiétante. Car il n’y a plus de code de conduite, plus de repères et la dissuasion va tous azimuts.

Les frappes n’auront donc pas de répercussions ?

Non, elles ne vont pas modifier le processus en cours. La victoire de l’État syrien est annoncée. Mais il reste beaucoup à faire. L’enjeu reste de taille dans la province orientale où les alliés kurdes des Etats-Unis sont toujours là, bien qu’affaiblis par la perte d’Ifrin. De nombreux combattants islamistes se sont par ailleurs réfugiés à Idlib. Les éléments de Jaych al-Islam qui sont refusés par les autres groupes à Idlib sont récupérés par la Turquie qui les utilisera peut-être pour combattre les Kurdes. Une Turquie prise au piège. D’une part, elle est liée par les accords passés avec la Russie et l’Iran. D’autre part, une réconciliation avec Damas semble compliquée. L’État syrien ne veut pas tourner la page aussi facilement après tout ce qui s’est passé. Mais il a déjà entrepris la reconstruction. L’Occident veut d’ailleurs faire du chantage pour soutenir cette reconstruction. C’est oublier qu’en Syrie, tous les grands projets ont été réalisés sans l’aide extérieure occidentale. Historiquement, le pays a compté sur ses ressources propres et le soutien de l’Union soviétique. Aujourd’hui, les Russes sont toujours là. La Chine se dit prête aussi à investir et à aider, même si elle ne le crie pas sur tous les toits. Je le répète, la victoire de l’État syrien est annoncée. Et elle va chambouler tous les rapports de force dans cette zone d’influence historique des Etats-Unis qu’est le Moyen-Orient.

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