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12 de maio de 2019

Adeus Kilograma

Kilogramme, seconde, mètre, ampère ou kelvin… Le nouveau Système international d'unités, entièrement refondu, prend effet le 20 mai. Il s'arrime aux constantes fondamentales de la physique.


Après cent trente ans de bons et loyaux services, le « grand K » s'apprête à prendre sa retraite. Lundi prochain, ce cylindre de platine iridié conservé depuis 1889 sous une triple cloche de verre au pavillon de Breteuil, dans le parc de Saint-Cloud, va cesser d'être la référence ultime et universelle du kilogramme.
C'était le dernier étalon matériel qu'incluait encore le  Système international d'unités (SI) , cet ensemble de sept unités de base - mètre, kilogramme, seconde, ampère, kelvin, candela (unité de l'intensité lumineuse) et mole (unité de la quantité de matière) - à partir desquelles se déduisent toutes les autres unités de mesure : newton, joule, watt, hertz, coulomb, lumen…

Socle de la « métrologie » ou science de la mesure, le SI a été repensé de fond en comble pour être mieux adapté aux besoins de la science et de la technologie modernes. « Une petite révolution » - dixit Marc Himbert, du Conservatoire national des arts et métiers - officiellement actée lors de  la 26e réunion de la Conférence générale des poids et mesures (CGPM) qui s'est tenue en novembre dernier à Versailles. Fruit de cinq ans de travaux ayant impliqué des laboratoires du monde entier, le nouveau système entre en vigueur, sur toute la surface du globe, le 20 mai.

Si l'abandon du « grand K » comme étalon du kilogramme constitue la mesure la plus symbolique de cette révision d'ampleur, ce n'est pas la seule. De fait, ce sont bien les sept unités de base qui ont été, à des degrés divers, redéfinies. En s'appuyant, pour ce faire, sur ce que la physique offre de plus solide et de plus intangible à la fois : les constantes fondamentales qui régissent l'univers. Parmi la trentaine de constantes que compte la physique, sept ont été choisies pour servir de référence à chacune des sept unités. Pour quatre d'entre elles, les constantes associées ont même été remesurées, et leur valeur gravée dans le marbre du SI.
C'est le cas de notre fameux kilogramme, désormais défini à partir de la constante de Planck, notée « h » et dont la valeur exacte a été très méticuleusement recalculée. Bien que plus complexe à saisir pour les non-physiciens, qui n'ont qu'une très vague idée de ce que la constante « h » représente (ce que la physique appelle une « action », c'est-à-dire le produit d'une énergie par un temps), cette nouvelle définition permet d'asseoir la notion de kilogramme sur quelque chose de beaucoup plus stable qu'un étalon matériel, si rigoureusement fabriqué et si prudemment conservé soit-il.
Depuis cent trente ans, les métrologues ont pu constater que les masses relatives du « grand K » et de ses différentes copies à travers le monde avaient varié entre elles de plus ou moins quelques dizaines de microgrammes.

Quantique

La définition du kilogramme à partir de la constante de Planck, clef de voûte de la physique quantique, constitue l'aboutissement d'un processus entamé en 1967 avec la redéfinition de la seconde : l'émergence de la physique de l'infiniment petit dans la métrologie. « Avec cette révision, le SI est désormais solidement ancré à la physique quantique », confirme Marc Himbert. Un choix qui ne doit rien au hasard puisque, dans l'univers de l'infiniment petit, la régularité des phénomènes et leur précision offrent aux métrologues des références sans égales.
Et ce n'est pas un hasard non plus si cette irruption de la physique quantique a commencé à la fin des années 1960 avec la seconde. Après avoir longtemps été définie comme une fraction du jour solaire puis de l'année tropique (définition « descendante »), la seconde l'est désormais comme un multiple d'un certain laps de temps beaucoup plus bref qu'elle (définition « ascendante »). Lequel laps de temps nous est fourni par le mystérieux monde des atomes. Plus précisément, lorsque l'un des électrons de l'atome de césium 133 change de niveau d'énergie, une onde est émise. C'est la période de cette onde (l'intervalle de temps entre le passage de deux crêtes, ou de deux creux) qui constitue le laps de temps minime servant au calcul de la seconde. Dans leur langage parfois ésotérique, les physiciens parlent de « transition hyperfine de l'état fondamental de l'atome de césium 133 ».
Cette définition de la seconde à partir d'un phénomène quantique a permis d'en fixer la valeur avec une précision inouïe : l'incertitude relative n'est que de 10-16, ce qui fait de la seconde, et de très loin, l'unité de base la mieux définie du SI. Seize ans plus tard, le mètre en a découlé. Lui qui avait été initialement, au temps de la Révolution française, défini comme valant un dix millionième de la longueur du méridien passant par Paris, connaît son aggiornamento en 1983. Cette année-là, forts de leur définition plus robuste de la seconde, les métrologues choisissent de fixer la valeur du mètre en référence à une autre constante fondamentale, en l'occurrence la vitesse (toujours invariante) de la lumière dans le vide, notée « c ». Depuis 1983, le mètre est la distance parcourue par la lumière dans le vide en 1/299.792.458 seconde.
Avec la révision finalisée en novembre 2018 à Versailles, le kelvin (K), unité de température, et l'ampère (A), unité de courant électrique, sont eux aussi définis à partir de constantes physiques : la constante de Boltzmann, liée à la mesure de l'agitation thermique des constituants fondamentaux d'un corps et notée « k », dans le premier cas ; la charge élémentaire (ou charge électrique d'un proton ou d'un électron unique), notée « e », dans le second.

Un impact pour l'industrie

Là encore, ce rattachement à des constantes fondamentales n'a rien d'un exercice gratuit. Ainsi pour la température, qui était auparavant calculée par rapport au « point triple de l'eau », cette température particulière à laquelle l'eau peut exister à la fois sous ses trois phases : solide, liquide et gazeuse. Lié à une température particulière, cet étalonnage perdait beaucoup en précision à mesure qu'on s'approchait des températures extrêmes, en deçà de 20 K (20 degrés au-dessus du zéro absolu) ou au-delà de 1.300 K. Ce qui était un grand inconvénient tant pour les labos de recherche s'intéressant aux propriétés de la matière aux très basses températures, que pour l'industrie faisant souvent appel aux très hautes températures.
« 60 % de tous les capteurs utilisés par les industriels sont des capteurs de température », rappelle Marc Himbert. De la même manière, la nouvelle définition de l'ampère, qui permettra de mesurer des courants électriques de façon dix fois plus précise qu'avant, aura un impact opérationnel considérable. Tout comme les nouvelles définitions de la candela pour l'industrie de l'éclairage ou celle de la mole pour la chimie et ses innombrables applications.

Un système d'unités, pour quoi faire ?

Construire sur le papier un système d'unités de base le plus cohérent et le plus rigoureux possible n'est pas un simple plaisir de métrologues. Une anecdote l'illustre à merveille. Le 23 septembre 1999, la sonde américaine Mars Climate Orbiter s'est assez lamentablement volatilisée dans l'atmosphère martienne à cause d'une erreur de navigation. Après enquête, il est apparu que le logiciel de vol exprimait la poussée des micropropulseurs en unités de mesure anglo-saxonnes, quand celui de l'équipe de navigation qui calculait les corrections de trajectoire depuis la Terre utilisait celles du système métrique… Mais l'impact de la métrologie sur la société ne se limite pas, loin de là, aux missions spatiales ni même à la « Big Science » dans son ensemble. « Si, en 1983, la communauté des métrologues n'avait pas décidé de redéfinir le mètre à partir de la vitesse de la lumière dans le vide, explique Marc Himbert, du Cnam, le GPS n'aurait jamais vu le jour. Mais, ajoute-t-il, au début des années 1980, quand a été prise cette décision, il était impossible de prédire qu'il en résulterait quelque chose comme le GPS… »

5 dates clefs

1795: la Convention révolutionnaire adopte le système métrique décimal, à visée universelle.
1875: plus ancien traité international aujourd'hui en vigueur, la Convention du mètre crée le Bureau international des poids et mesures (BIPM), dont le siège est basé en France, à Saint-Cloud.
1889: la première Conférence générale des poids et mesures (CGPM) définit la seconde astronomique et adopte de nouveaux étalons pour le mètre et le kilogramme : on parle de « système MKS » (mètre, kilogramme, seconde).
1960: la 11e CGPM institue le Système international d'unités (SI), qui définit alors six unités de base (la septième, la mole, sera ajoutée en 1971).
2011: la 24e CGPM adopte une résolution préconisant de refonder le SI à partir de 7 constantes fondamentales de la physique.
Yann Verdo 

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