La Russie et l’Iran contournent le dollar
« Le système de paiements russe Mir va être connecté au Shetab iranien (Interbank Information Transfer Network, un réseau concurrent du système Swift) « pour que les touristes puissent tranquillement utiliser les distributeurs automatiques de billets pendant leur visite de l’autre côté », selon les mots du gouverneur de la Banque centrale d’Iran, Valiollah Seif.
La Russie et l’Iran commenceront bientôt à régler des transactions en rials et en roubles, contournant le dollar américain et « stimulant les échanges commerciaux et les volumes d’imports-exports ».
Tout cela est inscrit dans la déclaration jointe de 16 pages – « Vers une coopération stratégique générale » – signée par Poutine et Rohani à Moscou.
Rien d’étonnant à ce que le Pentagone veuille la guerre. »
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Le commandant du CENTCOM (Commandement central des États-Unis, le Pentagone), le général Joseph Votel s’est pris pour la réincarnation du Dr Folamour devant la Commission des forces armées de la Chambre des représentants des États-Unis, mercredi dernier.
« Nous devons chercher des opportunités de déstabiliser l’Iran, que ce soit à travers des moyens militaires ou d’autres méthodes. »
Si orwellienne notre époque soit-elle, cette phrase se classe au rang des déclarations de guerre. Avec pour conséquence la destruction par le vide de l’accord sur le nucléaire passé avec l’Iran, à l’ONU, à l’été 2015.
Joseph Folamour ne s’est pas donné la peine de mâcher ses mots.
L’Iran est une des plus grandes menaces auxquelles les USA soient confrontées aujourd’hui (c’est la doctrine officielle du Pentagone qui le dit ; il vient en quatrième position, après la Russie, la Chine et la Corée du Nord). L’Iran a développé son « rôle déstabilisateur » et constitue « la plus grande menace de long terme à la stabilité » de tout le Moyen-Orient.
L’Iran est perfide ; « Je pense que l’Iran opère dans ce que j’appelle une zone grise ». Et c’est « une zone située entre la concurrence normale entre pays – qui s’arrête juste aux portes de conflits ouverts. »
L’Iran est impliqué dans des « mesures de facilitation d’aides létales » ; l’utilisation de « forces par procuration » ; et nombre de « cyber-activités ».
Les USA n’ont pas « vu d’améliorations dans le comportement de l’Iran ». Le garçon/pays turbulent en question pose encore « des menaces crédibles » à travers « son potentiel nucléaire » et son « robuste » programme de missiles balistiques.
Donc, en voilà assez ; nous allons les sortir.
Le djihad sans fin du CENTCOM
Une réponse simple consisterait à caractériser cette crise de colère d’homme de main mafieux bloqué dans l’adolescence comme un cadeau offert au monde par le fonds de pétrodollars de la Maison des Saoud.
Ou de se rappeler que Joseph Folamour s’adressait précisément à ceux-là même qui, malgré les rapports accumulés au fil des années des dix-sept agences de renseignements des USA selon lesquels l’Iran n’a pas, et ne prévoit pas d’avoir d’armes nucléaires, dénoncent quand même « la menace nucléaire » iranienne.
Mais la réalité dépasse toujours la fiction. L’État islamique/Daech en personne a sorti une vidéo en farsi – avec un message destiné au guide suprême, l’ayatollah Khamenei – déclarant la guerre à l’Iran parce que ce sont des apostats chiites et parce qu’ils « tolèrent » les juifs.
Non, ce n’est pas un sketch de Monty Python. En fait, nous dérivons vers une situation de plus en plus curieuse, celle d’un CENTCOM qui a envahi et occupé l’Afghanistan et l’Irak ; qui a distribué la mort et la destruction gratuitement ; qui a provoqué une crise monumentale de myriades de réfugiés ; qui est de nouveau en guerre en Irak ; qui cherche encore à tout prix un changement de régime en Syrie ; qui « dirige en arrière-plan» la destruction du Yémen par l’Arabie Saoudite, et qui se retrouve aujourd’hui, de facto, ouvertement, l’allié objectif de Daech – qu’il a laissé suppurer pendant des années – contre l’Iran.
Appelez ça le djihad du CENTCOM, si vous voulez.
La performance de Joseph Folamour a eu lieu juste au moment où l’axe néocon/libéralcon, qui colporte sa russophobie hystérique – et son iranophobie – dans tous les couloirs de Washington DC et au delà, venait de savourer un bonbon géopolitique : le président iranien Hassan Rohani rencontrant le président russe Vladimir Poutine dans le magnifique Grand Palais du Kremlin, à Moscou. En termes néocon, traduisez par « les mollahs » rencontrent « Hitler ».
Certains développements étaient prévisibles ; le ministre de affaires étrangères Javad Zarif a confirmé que l’armée russe a l’autorisation d’utiliser des bases iraniennes « au cas par cas » – essentiellement contre des djihadistes en Syrie, comme en août dernier, quand des bombardiers à long rayon d’action Tu-22M3 et des Su-34 ont conduit des missions à partir de la base de Hamadan.
Mais, comme Rohani et Poutine l’ont clarifié, les rencontres ont dépassé la simple coopération militaire dans une vraie guerre de terrain contre la terreur.
Le partenariat comprend aujourd’hui une augmentation du volume des échanges commerciaux ; des échanges scientifiques ; la construction par la Russie de deux nouvelles centrales nucléaires civiles à Bushehr, le site du premier réacteur iranien ; l’adhésion prochaine de l’Iran à l’Organisation de coopération de Shanghai (SCO) ; et dans un avenir proche, la possibilité d’une aide russo-chinoise aux institutions bancaires iraniennes.
Alors que l’équipe de la Maison-Blanche tente de se mettre d’accord avant la première visite officielle du Secrétaire d’État « T-Rex » Tillerson en Russie, dans deux semaines, les ouvertures russes à l’Iran sont présentées comme un des obstacles-clés à un accord – avec le vieux slogan de « l’agression russe » en Ukraine, en Europe de l’Est et dans le cyberespace.
Pour le Pentagone, la coopération russo-iranienne est une abomination – en Syrie ou ailleurs, particulièrement après la bataille d’Alep. De plus, il se trouve que cela se raccorde particulièrement bien à la vision du monde du Richelieu/Machiavel de la Maison-Blanche, Steve Bannon ; Bannon était officier naval à l’époque de la crise des otages américains en Iran, et considère autant l’Iran comme une menace existentielle que les huiles du Pentagone.
Ainsi, le tableau vendu aujourd’hui à l’opinion publique américaine ne pourrait pas être plus effrayant ; l’Iran « déstabilise » l’intégralité du Moyen-Orient pendant que la Russie « déstabilise » l’Europe de l’Est, l’ouest des Balkans, l’Ukraine, en fait la planète entière.
Quel accord sur le nucléaire ?
Au moins, la feuille de route de Washington sur l’Iran est étalée au grand jour ; plus – et de plus lourdes – sanctions ; un harcèlement non-stop couplé à une propagande constante à destination de l’opinion publique occidentale ; des opérations secrètes et enfin, la possibilité d’une guerre ouverte.
Le sénateur Bob Corker, secrétaire du Comité des affaires étrangères du Sénat des États-Unis soutient avec zèle le projet de loi intitulé « Contrer les activités de déstabilisation de l’Iran » qui, s’il est approuvé, annulera l’engagement des USA dans l’accord sur le nucléaire avec l’Iran parrainé par l’ONU ; requalifiera le Corps des Gardiens de la révolution islamique d’Iran en organisation terroriste, et ouvrira les vannes d’une nouvelle salve de sanctions.
Mais tout cela pourrait tout aussi bien se résumer au cas du chien qui aboie, mais ne mord pas. Tous ceux qui ont compris la direction du vent, à Washington, savent que le partenariat stratégique russo-iranien est l’un des trois points-clés, avec la Chine, de la plus grande aventure du jeune XXIe siècle : l’intégration eurasienne, avec la Russie et l’Iran en pièces maîtresses de l’échiquier énergétique et la Chine en locomotive d’investissements. Et il n’y a pas grand-chose que les USA puissent faire pour empêcher cela.
Encore cette fois, les chiens de la diabolisation aboient, la caravane eurasienne passe.
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