Dormir em pé
Ils ne sont pas loin du storytelling – cette technique narrative de communication qui a si bien servi pour les armes de destructions massives irakiennes, ou à laquelle le danger islamique s’apparente également – mais ils s’y essayent. Qu’ils appartiennent au parti républicain américain, au gouvernement britannique ou à la coalition CDU/CSU-FPD allemande, les leaders politiques qui tiennent actuellement le haut du pavé et monopolisent le verbe n’arrêtent pas de fabriquer de belles et édifiantes histoires destinées à formater les esprits.
Les premiers font de l’amoindrissement du rôle de l’Etat, auquel tous les maux ou presque sont attribués, leur nouvelle religion. N’envisageant pour tout programme que des coupes budgétaires et des baisses d’impôt. Les yeux rivés sur l’échéance présidentielle, avec pour seul objectif de faire chuter Barack Obama, ils ne veulent en aucun cas être associés à de nouvelles dépenses budgétaires ou, pis, à des augmentations d’impôts. Ils sont d’autant plus prêts à exiger des mesures drastiques qu’ils savent la majorité démocrate du Sénat et l’exercice du droit de veto présidentiel se préparer à si nécessaire les bloquer.
A terme, les uns comme les autres n’ont d’autre foi que dans la croissance économique, à propos de laquelle ils fondent des prévisions irréalistes et placent tous leurs espoirs. Telle la poursuite infernale d’une fuite en avant américaine qui en masque une autre, celle de la dette et de son financement.
Les gouverneurs des Etats et les maires, eux, n’ont même pas les moyens de tergiverser. Ils sont confrontés sans attendre à des déficits leur imposant de réaliser des coupes claires dans leurs budgets. Commençant à susciter de vives réactions, comme les manifestations de Madison dans le Wisconsin viennent de le montrer. Ils ont toutefois l’espoir, car il n’y a pas à ce niveau d’échappatoire, de réaliser une union sacrée locale entre démocrates et républicains – les modalités discrètes n’en manquent pas – impensable au plan national.
Repoussée à plus tard au niveau central, la crise budgétaire est en train d’exploser localement, là où les situations financières sont les plus détériorées. Ce qui n’est pas sans rappeler, par analogie, la crise européenne actuelle et sa zone des tempêtes où pénètrent peu à peu les pays les plus faibles. Comme on l’a déjà vu à propos de la crise des muni-bonds, ce sont les plans de pension et les systèmes d’aide social et de santé qui sont les premiers visés dans les budgets américains, ainsi que les emplois municipaux, dans tous les secteurs. Et quand le secrétaire d’Etat, Tim Geithner, en vient à reconnaître que des hausses d’impôts sont inévitables si l’on veut réduire le déficit, il s’en tient à prudemment évoquer la nécessité de « se pencher sur les recettes ».
Les Britanniques sont un peu en avance dans le processus. David Cameron, le premier ministre, a rédigé pour eux un projet sous forme de conte pour enfants qu’il a tout simplement intitulé Big Society. N’y allant pas par quatre chemins, il a expliqué que « la poigne du contrôle de l’Etat doit être relâchée et le pouvoir confié aux gens (…) Nous connaissons les dégâts provoqués par des services qui sont contrôlés de façon centralisée (…) Que ce soit les taux de survie au cancer, les résultats scolaires ou la criminalité, nous dérapons depuis trop longtemps face à des pays comparables ». Il envisage en conséquence de confier à des entreprises privées ou des organisations caritatives la gestion de la quasi-totalité des services publics, à l’exception concède-t-il de la sécurité nationale et de la justice. D’ici à une quinzaine de jour, le gouvernement britannique va rendre public un « Livre Blanc » à ce propos, mettant le NHS – le service de santé britannique – particulièrement sur la sellette.
Ce projet a tout d’un habillage des coupes budgétaires prévues par le plan d’austérité de la coalition au pouvoir. Mais des villes-pilotes ou des associations choisies pour amorcer la pompe se sont déjà désengagées, faute de moyens. On comprend que, à l’image de ce qui se fait un peu partout en Europe, l’Etat tend à se décharger de ses responsabilités sur des structures locales, qui seront ensuite financièrement étranglées, puis dans l’obligation de procéder aux coupes que les gouvernements n’auront ainsi pas à assumer. Ainsi qu’a continuer de privatiser plus ou moins insidieusement des activités encore publiques. C’est effectivement un projet de société, dont seul pour l’instant David Cameron assume crânement la paternité, mais que tous partagent.
La contribution de la chancelière Angela Merkel est d’un autre genre, mais elle aboutit aux mêmes conséquences. Elle prétend s’attaquer aux causes de la crise en cherchant à faire adopter, pour le généraliser, un modèle économique calqué sur celui de l’Allemagne ; attribuant celle-ci aux différences de compétitivité et à l’irresponsabilité fiscale au sein de la zone euro. Le message a le mérite de la simplicité : la crise actuelle ne peut être que fiscale et la seule réponse à y apporter ne peut être par conséquent que l’austérité.
Cette histoire là calme les courants europhobes et conservateurs allemands, relayés par des campagnes de presse des journaux à sensation, mais aussi de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, ainsi que des libéraux du FPD, qui essayent ainsi de se refaire une santé électorale. « L’Allemagne ne payera pas ! » est un slogan porteur dans un pays resté profondément marqué par son histoire, qui garde dans sa mémoire collective non seulement l’hyper-inflation mais aussi la trace de celui des Français, qui affirmaient le contraire dans un élan patriotard : « L’Allemagne payera ! ».
Angela Merkel construit une solution purement fictionnelle et irréaliste à la crise, qui sert ses intérêts à court terme, afin de passer avec le minimum d’encombre le cap de ses élections régionales en série de l’année 2011. Elle camoufle soigneusement la situation du système bancaire allemand et bataille ferme dans les coulisses pour que les résultats des futurs stress tests – dont Michel Barnier vient d’annoncer que leur méthodologie sera rendue publique le 2 mars prochain – ne soient que partiellement rendus publics. Car il y a l’envers du décor, qui n’est pas beau à montrer.
Mais son scénario vient de capoter par deux fois. Lorsque son pacte de compétitivité a été retoqué par ses pairs, et quand son poulain à la candidature de la présidence de la BCE s’est désisté. En liant son accord au renforcement du pacte de stabilité – et à l’assouplissement des conditions du sauvetage des grecs et des irlandais – à l’adoption de son pacte, elle a proposé un pacte que Wolfgang Münchau, dans sa dernière chronique du Financial Times, qualifiait de « faustien ». Il n’a pas été retenu. Quelle nouvelle histoire va-t-elle pouvoir inventer, rendant encore plus improbable la sortie de crise ?
Toutes ces histoires ont en commun d’être à dormir debout. Des expressions de la forme moderne de la dictature, celle des esprits. Elles partagent également un même destin, celui de ne mener nulle part.
L.C. blog de P.J.
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