Au terme de deux jours de réunion lundi et mardi dernier, pour vainement camoufler leurs désaccords, les ministres des finances européens déclaraient faute de mieux s’être mis d’accord sur le montant des aides que le futur fonds pourra mobiliser en 2013 – si tant est qu’ils parviennent à en définir les missions ! La mise au point des têtes de chapitre de leur pacte de compétitivité, condition préalable à des mesures financières plus immédiates, nécessite en effet une tournée européenne des popotes par Herman Van Rompuy, le président de l’Union européenne pour arriver à un compromis. Rendez-vous est donc pris pour le 11 mars prochain, date à laquelle il rapportera devant les chefs d’Etats et de gouvernement de la zone euro. En attendant, comme l’a déclaré Jean-Claude Juncker, chef de file de l’Eurogroup, « il n’y a accord sur rien tant qu’il n’y a pas d’accord sur tout ».
Cette nouvelle attente fait trépigner d’impatience certains pays qui s’en trouvent d’autant plus fragilisés, comme le Portugal, toujours au seuil de la zone des tempêtes. Tandis que tous les regards sont tournés vers Berlin, où la politique européenne se fait désormais, ou plutôt ne se fait pas. La renonciation à la candidature à la présidence de la BCE d’Axel Weber a porté un coup à une politique qui procède plus de la cuisine électorale intérieure que d’une vision de l’avenir de l’Allemagne et de l’Europe, renforçant le camp des partisans du refus de participer plus avant à un mécanisme européen de stabilisation financière : Axel Weber à la tête de la BCE était une garantie...
Les résultats économiques atteints au 4ème trimestre 2010 sont – comme on dit dans le langage châtié – préoccupants, la croissance étant famélique : +0,3 % pour la zone euro dans son ensemble, soit +0,4 % pour l’Allemagne et +0,3 % pour la France, +0,2 % pour l’Espagne et +0,1 % pour l’Italie, alors que la Grèce plonge dans la récession à -1,4 % et le Portugal s’y installe, à -0,3 %. Que l’on considère la zone euro ou l’Union européenne, la région est globalement dans une phase récessive, que les gouvernements préfèrent qualifier de croissance molle ou modérée.
Si l’on considère le chômage ou le pouvoir d’achat, des situations extrêmes sont relevées et s’étendent : l’Espagne a fini l’année 2010 avec un taux de chômage de 20,33 %. Celui des Britanniques, pour les 16-24 ans, est de 20,5 % : un jeune sur cinq est sans emploi. En Grèce, les revenus ont chuté de 9 % en 2010 sous l’effet des mesures d’austérité, alors que l’inflation s’est envolée de 4,7 %. Le panorama de la crise sociale s’élargit au fur et à mesure que sont mis en œuvre les plans d’austérité destinés à réduire les déficits publics. Sans autre issue que l’invocation d’un hypothétique et futur rebond, une fois que la compétitivité et la confiance des marchés seront revenues.
La situation de l’industrie bancaire est de son côté contrastée. Aux impressionnants résultats des uns – les banques françaises aujourd’hui jeudi – correspond le sauvetage laborieux des autres. De quoi se demander, s’il en était besoin, de quoi ils sont faits dans les deux cas et de continuer à attendre avec impatience des stress tests, dont il n’est plus actuellement question.
Après le cas des Cajas espagnoles, c’est au tour des Landesbanken allemandes d’être sur la sellette, à l’occasion de l’annonce du plan de restructuration de WestLB, qui préfigure à long terme la restructuration et la privatisation de l’ensemble de ces banques pour l’instant sous tutelle des régions.
On comprend qu’en dépit des finesses des montages juridiques et financiers, les impasses financières restent entières sans pour autant être reconnues, loin s’en faut. Ainsi, on ne voit pas comment le gouvernement espagnol pourra éviter de recapitaliser son réseau de caisses d’épargne, au-delà de l’appel aux capitaux privés en cours, ni comment le gouvernement allemand pourra esquiver le renflouement du réseau des Landesbanken, une fois leurs actifs toxiques transférés dans des bad banks pour les rendre privatisables. Les établissements espagnols ont financé leur bulle immobilière nationale, les allemands ont joué au casino à Wall Street : cela va se payer sur fonds publics.
Une autre comédie va être rejouée ce week-end, celle du G20 finances, avec aux manettes le gouvernement français si fécond en stratégies de communication. Les silhouettes ne correspondent pas à celles des modèles, mais Nicolas Sarkozy et Christine Lagarde vont à cette occasion faire un emprunt à Cervantes et charger les moulins à vent.
A l’occasion d’une conférence devant l’Institute of International Finance (le lobby international des mégabanques), la ministre de l’économie française a eu des phrases qui en disent long sur sa détermination : « Nous ne disons pas que la spéculation nourrit la hausse des prix. Peut-être que ça l’anticipe un peu, peut-être que ça l’accélère un peu, il y aura un débat à ce sujet, peut-être que ça n’a aucun effet, c’est aussi une éventualité ». Les spéculateurs en tremblent d’avance.
Emmenés par Michel Camdessus, ancien directeur général du FMI, dix-huit hauts fonctionnaires des banques centrales, du FMI et de la Banque des règlements internationaux – aucun n’étant encore en activité, à l’exception de la vice-présidente de la banque centrale chinoise – viennent de formuler un ensemble de propositions destinées à stabiliser et réformer le système monétaire international, deuxième grand axe de la présidence française du G20. Dans l’immédiat, la mesure phare propose d’adopter des « indicateurs d’alerte » – non identifiés – des déséquilibres économiques mondiaux. Résultant des discussions préparatoires en cours, une liste de ceux-ci pourrait être adoptée lors du G20 finances de ce week-end : solde des comptes courants, taux de change réels, réserves de change, déficit et endettement publics, épargne privée.
Il y a dans ce document intitulé « L’initiative de Port-Royal » – du nom des jardins surplombés par les locaux de la Banque de France où le groupe s’est réuni – d’intéressants constats sur la situation, qui font contraste avec la modestie revendiquée des propositions qu’il énonce. Il y est notamment fait référence à « l’essor incontrôlé de la liquidité mondiale » et à l’absence de « définitions et d’instruments de mesure communément admis de la liquidité mondiale », ce qui revient à reconnaître qu’on ne la connaît pas ! Corrélativement, sont aussi évoquées les vulnérabilités toujours présentes du secteur financier « liées entre autres au rôle du ‘système bancaire de l’ombre’ (shadow banking) ».
Mais à quoi donc cette réflexion et la réunion de ce week-end vont-elles pouvoir aboutir ? Les indicateurs adoptés ne seront pas dotés de seuils, car toute proposition de cette nature ouvrirait la porte à l’adoption de contraintes et ne pourrait donc être retenue. L’immobilisme va donc prévaloir.
Au bord de l’abîme, la gouvernance mondiale va faire un pas de plus en avant. Et la réforme du système international, l’une des clés de voûte de tout aggiornamento, va continuer à être repoussée aux calendes grecques, au nom d’une stratégie des tout petits pas qui serait la seule possible. En raison du veto absolu des Américains de ne serait-ce qu’envisager la perte par le dollar de son statut privilégié.
Tout comme l’Union européenne, le G20 est, quelle que soit sa configuration, paralysé. Mais le spectacle doit continuer et les acteurs rester en scène ! Ceux-ci sont en fait réduits au rang de spectateurs d’une situation sur laquelle ils ont peu de prise, tentant selon la phrase célèbre de feindre d’en être les organisateurs, ce mystère les dépassant.
Lc BLOG PJ
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