À QUAND LA PROCHAINE CRISE ? par François Lec
Janet Yellen, la présidente de la Fed, a cru pouvoir affirmer que nous pourrions ne pas faire l’expérience d’une nouvelle crise « de notre vivant », mais elle n’a pas clos le débat à son propos, quand bien même elle aurait raison. « À quand la prochaine crise ? » est une interrogation présente dans toutes les pensées sinon dans tous les discours. Dans un monde complexe où circulent tant de certitudes erronées, elle fait exception pour être laissée sans réponse d’autant qu’elle est doublée d’une autre sur ce qui la déclenchera.
Jaime Caruana, le directeur général de la Banque des règlements internationaux, a exposé sa vision du problème : « Chaque crise a été rendue possible par une incompréhension collective qui a créé un angle mort sur le risque. » Il faudrait donc, selon lui, chercher la petite bête, l’équivalent de ce qu’ont été les subprimes en 2007, en fouinant dans les mécanismes du système financier. Mais vu sa complexité, l’exercice n’est-il pas vain, l’imprévisible que celui-ci recèle l’emportant en raison de son opacité ?
Est-il aussi possible de suivre Mark Carney, le président du Conseil de stabilité financière, lorsqu’il affirme que le shadow banking est désormais « apprivoisé » ? Si on devait le croire, on pourrait encore se rabattre sur l’importance prise par les produits dérivés – ces paris sur des risques que l’on ne sait pas calculer – dans les bilans des banques reconnues comme systémiques, et y déceler un important potentiel de crise en dépit de leurs tentatives de couverture. Puis épingler que, parmi les trente groupes bancaires systémiques recensés par le Conseil de stabilité financière, la moitié d’entre eux sont d’origine européenne et que chacun « pèse » en taille de bilan pas loin de l’équivalent du produit intérieur brut de son pays d’origine ! Et constater enfin, que bien que présentée comme une parade au danger que les transactions sur ce marché représentent, l’instauration des chambres de compensation supprime un problème pour en créer un autre en concentrant le risque sans toujours le maitriser.
Mais dominant tout, deux approches globales se présentent. En premier, l’énorme gonflement de la masse des liquidités résultant des injections par les banques centrales est un indéniable facteur de déstabilisation du système financier, après l’avoir dans un premier temps stabilisé. La Fed, la BCE et la Banque du Japon ont pour chacune d’entre elles près de 5.000 milliards de dollars d’actifs inscrits à leur bilan. Aujourd’hui, la Fed voudrait réduire sa taille, la BCE pourrait le faire après avoir baissé le volume mensuel de ses achats, mais on ne sait pas quand, et la Banque du Japon entend au contraire poursuivre ses achats de titres, au rythme annuel de 750 milliards de dollars… Que va-t-il en résulter au total ?
À cette échelle, la réduction des bilans des banques centrales est une opération sans précédent aux conséquences inconnues. Même en procédant très progressivement, jusqu’où pourront-elles opérer cette réduction ? Quant à ses taux, la BCE annonce qu’ils resteront très bas pendant une très longue période. En attendant un retour incertain à la normalité, les mouvements de capitaux résultant de leurs brusques changements d’allocation sèment la perturbation quand ils se retirent. Selon un rapport du Sénat français, le système est aussi dangereux dix ans après la crise en raison de la formation de nouvelles bulles financières créées par les liquidités déversées dans le système.
L’accroissement de la bulle de la dette obligataire est la plus préoccupante d’entre elles. Les analystes de l’Institut International de la finance estiment le stock mondial de la dette fin 2016 à 215.000 milliards de dollars, endettement des ménages, des entreprises et des États confondus. Or la hausse des taux du marché obligataire, anormalement bas au regard de leur historique, est considérée comme inéluctable et ses conséquences sur les budgets publics s’annoncent lourdes. Selon Michel Pébereau, le président d’honneur de l’Institut de l’entreprise, la charge de la dette actuelle représente 40 milliards d’euros par an comme en 2005 alors que son volume a doublé. Ceci grâce à la faiblesse des taux d’intérêt. Mais son coût flambera lorsqu’ils augmenteront.
On ne résorbera pas le volume atteint par l’endettement par les seules mesures d’austérité à l’européenne, au vu des excédents budgétaires qu’il faudrait dégager pour y parvenir. Et surtout, l’absence conjuguée d’une croissance renouant avec ses taux précédents et d’un niveau d’inflation que les banques centrales ne parviennent pas à susciter rend à terme insoluble le problème. Pour absorber les liquidités dont le système financier dispose et assurer la croissance telle qu’elle est conçue, un niveau croissant de dette est nécessaire, mais le poids financier de celle-ci est de moins en moins supportable. Un autre modèle s’impose !
Les problématiques de la masse des liquidités et de l’endettement ont en commun de ne pas avoir de solution, confortant l’idée qu’un rebondissement de la crise est inévitable. Le seul espoir est de la repousser le plus tard possible, au risque que ce soit trop tardivement pour tenter un règlement à froid. Nous sommes décidément entrés dans une nouvelle ère.
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