MATHILDE DUPRÉ | 29/06/2017 | Alternatives Economiques
Plus de 205 pages de documents confidentiels ont été mises en ligne (url:https://ttip-leaks.org/jefta-leaks/) par l’ONG Greenpeace vendredi 23 juin, à propos de l’accord de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et le Japon (Jefta), en cours de finalisation. Bien moins médiatique que le Ceta (l’accord avec le Canada) ou le TTIP (celui avec les Etats-Unis), le Jefta pourrait pourtant devenir l’accord le plus important jamais signé par l’Union européenne.
En préparation depuis 2012, la conclusion des négociations était annoncée pour la fin de l’année 2017. Mais la Commission semble vouloir accélérer le calendrier. En ce moment même se déroule au Japon le 19 round de négociations et les commissaires européens
Cécilia Malmström (au commerce) et Phil Hogan (à l’agriculture) se rendent à Tokyo aujourd’hui pour tenter de le finaliser. En effet, selon Politico (url:http://www.politico.eu/article/eu-japan-tradedeal-big-push-before-july/), un sommet euro-japonais pourrait avoir lieu dès le 6 juillet prochain pour annoncer la conclusion de l’accord. Pour Bruxelles, ce serait l’occasion de démontrer la capacité de l’Union européenne de signer de nouveaux accords de commerce avec des partenaires stratégiques et d’envoyer un message politique fort aux Etats Unis, à la veille du sommet du G20 à Hambourg.
Précipitation
Le symbole mérite-t-il un tel empressement ? Il faut savoir que les négociations ne sont pas terminées. Elles buttent encore sur deux obstacles, et non des moindres : le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats et la protection des données
personnelles pour tout ce qui concerne le commerce électronique et la circulation des données. Sur le premier point, le Japon ne veut visiblement pas entendre parler de la version 2.0 de l’arbitrage d’investissement(url:https://www.alternatives economiques.fr/arbitrage-dinvestissement-une-justicedexception-service-multinationa/00079226) que l’Union européenne a déjà intégré dans ses accords avec le Canada et le Vietnam. Or, la Commission sait qu’un retour à l’ancienne formule pourrait ne pas être accepté par les eurodéputés ainsi que par certains Etats membres. Quant à la version actuelle qu’elle propose, elle fait l’objet de nombreuses critiques devrait encore être examinée par la Cour de justice européenne au cours des prochains mois, à la demande de la Belgique.
Sur le second point, la définition d’une approche commune en matière de protection des données dans les accords de commerce est encore en plein chantier. Est-il dès lors stratégique, comme l’entend la Commission, de sceller un accord politique sur le Jefta et de finaliser son contenu ultérieurement lors d’une série de réunions techniques ? Ce ne serait certes pas la première fois. Mais dans le cas présent, les divergences portent sur des aspects fortement controversés dans l’opinion publique et relativement centraux de l’accord.
Cette précipitation laisse également craindre une nouvelle crise politique. Le feuilleton wallon en amont de la signature du Ceta (url:https://www.alternativeseconomiques.fr/un-nouveau-ceta-a-ete-signe-30-octobre-dernier/00012564), en octobre 2016 est encore dans tous les esprits.
D’aucuns disent que la Commission n’en aurait tiré aucun enseignement
(url:https://www.euractiv.fr/section/commerce-industrie/news/eu-japan-tradedeal-learns-nothing-from-ttip-mistakes/) et qu’elle prend à la légère la crise de légitimité croissante de sa politique commerciale. Malgré sa portée inédite, le Jefta est encore inconnu du grand public et le contrôle démocratique exercé par les parlementaires a été plus que succinct, notamment dans les capitales. Il faut dire qu’une fois de plus, l’opacité qui entoure les
négociations est très forte. Plusieurs Etats membres (url:http://borderlex.eu/eu-japan-fta-capitals-not-ready mandaterelease-july-conclusion/) refusent toujours la publication du mandat de négociation. Et de son côté, la Commission n’a mis en ligne que deux textes de propositions (url:http://ec.europa.eu/trade/policy/countries-andregions/
countries/japan/index_en.htm#more) qu’elle a portées auprès du Japon, après des premières fuites en mars 2017 (url:https://www.mediapart.fr/journal/economie/220317/apres-le-ceta-bruxelles-mise-sur-un-traite-de-libre-echange-avec-le-japon).
Des difficultés similaires au Ceta
Les nouveaux documents publiés par Greenpeace portent sur plus de dix chapitres, ainsi que le mandat de négociation en allemand. Ils confirment que le contenu du Jefta, très proche de celui du Ceta, pose un certain nombre de difficultés similaires (url:https://www.alternatives-economiques.fr/taftamort-vive jefta/00078346), voire accrues : arbitrage d’investissement, coopération réglementaire obligatoire, absence de garantie sur le principe de précaution, libéralisation des services par liste négative, etc.
L’ONG environnementale alerte aussi sur la faiblesse des volets de l’accord en matière environnementale et climatique. Sur le commerce du bois par exemple, elle considère que le Jefta serait encore moins contraignant que le Ceta ou l’accord transpacifique. Le Japon est pourtant le quatrième importateur mondial de produits forestiers et de larges quantités de bois illégal notamment issues de Malaisie, d’Indonésie et de Russie arrivent sur son marché.
En l’état actuel des discussions, l’accord pourrait conduire à une augmentation de l’exploitation forestière illégale et du trafic du bois y compris en provenance des dernières forêts vierges européennes, en dépit des mises en garde d’un rapport d’experts (url:http://www.tsiaeujapantrade.com/) commandité par la Commission. Pour Alexander von Bismarck, directeur de l’Agence d’investigation environnementale (url:https://eia-global.org/press-releases/leaked-eu-japan-trade-agreement-wouldincrease-
illegal-logging) (EIA), « le Jefta est très faible en la matière et menace d’anéantir les eforts internationaux contre le commerce de bois illicite en plaçant les règles volontaires inefficaces en vigueur au Japon sur un pied d’égalité avec la réglementation contraignante européenne ».
En France, cet accord n’a jamais été mentionné dans le cadre de la campagne électorale et la position du nouveau gouvernement n’est pas connue. Si la politique commerciale extérieure relève à nouveau des compétences du ministre des Affaires étrangères, aucun secrétariat d’Etat n’a été officiellement désigné. La commission d’experts sur le Ceta annoncée pendant la campagne devrait être nommée la semaine prochaine pour examiner les risques sanitaires et environnementaux de l’accord conclu avec le Canada. Et une décision du Conseil constitutionnel est attendue cet été sur la comptabilité du Ceta avec la Constitution française.
Dans ce contexte, la conclusion d’un nouvel accord de taille encore plus importante, avec le Japon, sans aucun débat public préalable pourrait apparaître largement prématurée.
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