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4 de maio de 2018

Maio de 68

Uma opinião

Mai 2018 prendre exemple des leçons de Mai 68 pour faire gagner les travailleurs !

A propos du 50ème anniversaire de Mai-Juin 68... Alors qu’ils ont superbement ignoré le 170ème anniversaire de la Révolution populaire-républicaine de février 1848, dont la date coïncidait presque avec le 170ème anniversaire du Manifeste du Parti communiste, les médias du capital et de la fausse gauche « mettent le paquet » sur le cinquantenaire de Mai 68. Le hic, c’est qu’ils en exaltent les côtés faibles, voire négatifs, et qu’ils en dénigrent les points forts, qui comportent encore de grands enseignements pour nos combats anticapitalistes actuels.

I – Les « événements » de Mai-juin 1968 comportaient en effet des côtés faibles

Les « événements » de Mai-juin 1968 comportaient en effet des côtés faibles, clairement anticommunistes, anti-prolétariens et anti-cégétistes, largement liés à la composition de classe principalement bourgeoise et petite-bourgeoise du mouvement étudiant d’alors. Le ressassement exalté de ces côtés « modernes », et en réalité régressifs du Mai étudiant, continue d’enchanter l’actuelle « bourgeoisie bohème » si bien installée dans les médias et à l’Université ; principalement assis sur les couches moyennes supérieures salariées et non salariées des métropoles et des « villes-centres », largement liés à l’économie impérialiste parasitaire (pub, finance, com, tourisme friqué...) qui s’est en partie substituée à l’économie productive à base ouvrière, artisanale et paysanne, ces éléments pseudo-progressistes continuent d’aduler la figure prétendument « libéral-libertaire » de l’anticommuniste « de gôche » « Dany » Cohn-Bendit. Démasqués depuis longtemps par le sociologue marxiste Michel Clouscard, les bobos se reconnaissent pleinement dans le social-libéralisme des Anne Hidalgo, Rebsamen, Collomb, voire dans le prétendu « nouveau monde » du super-maastrichtien, atlantiste et néo-thatchérien Emmanuel Macron.
En effet, malgré l’omniprésence des drapeaux rouges dans les cortèges étudiants de 68, – ce qu’explique largement la force du PCF et de la CGT en France, mais aussi celle du mouvement communiste et anti-impérialiste international des années soixante (force du camp socialiste mondial, offensive du peuple vietnamien, victoire de la Révolution cubaine, puis des forces anticoloniales en Algérie...), – une bonne partie du mouvement étudiant d’alors était inconsciemment,
– voire subjectivement pour certains de ses chefs ! –, très opposée au communisme réel en France et dans le monde, notamment à l’URSS. Et ce n’était pas moins vrai quand, bonne conscience « révolutionnaire » en prime, toute une partie de cette mouvance jouait à prendre le PCF « de gauche » en exaltant la « Grande Révolution Culturelle Prolétarienne » chinoise[1]. Il est significatif que le chef de file soixante-huitard de la contestation universitaire, Alain Geismar, qui se réclama un temps de la « Gauche prolétarienne », soit devenu par la suite un des maîtres d’œuvre de la casse néolibérale de l’Education nationale en tant que chef de file de l’Inspection générale, et que tout dernièrement, cet ex-« révolutionnaire » qui n’avait pas de mots assez durs en 68 pour fustiger la « frilosité » communiste, ait soutenu Macron, l’homme-lige de l’oligarchie atlantique, lors de l’élection présidentielle. Ne parlons pas de Serge July, l’ex-dirigeant mao qui a longtemps dirigé Libé, l’ex-journal gauchiste devenu l’organe du social-libéralisme ; ni d’André Glucksmann, lui aussi figure historique de la GP, qui mourut dans la peau d’un belliciste enragé justifiant la croisade nucléaire exterministe que Folamour Reagan préparait très ouvertement contre l’URSS, ou de Stéphane Courtois, maoïste devenu l’orchestrateur continental de la criminalisation du communisme ; sans oublier Denis Kessler, lui aussi leader gauchiste en 68, qui appelait Sarkozy en 2007, dans un édito cynique de Challenge, à « démanteler le programme du CNR » sans crainte de repeindre le pétainisme aux couleurs des « Etats-Unis d’Europe »...
Il ne s’agit pas seulement pour nous de fustiger ici les « trahisons » de ceux qui, selon la forte expression de Guy Hocquenghem, « sont passés du col mao au Rotary », car cela signifierait seulement que ces tristes sires, qui ont trompé et exploité à des fins personnelles des milliers de jeunes « maos », ouvriers et étudiants, ont simplement tourné le dos à leur idéal juvénile pour faire carrière dans la société capitaliste. Au contraire, quand on étudie le devenir politique de ces douteux personnages, on constate la parfaite continuité anticommuniste d’une trajectoire par laquelle, au fil des rapports de forces, des campagnes antisoviétiques, de l’affaiblissement du PCF, des reniements de ses dirigeants, de la montée en puissance de la social-démocratie mitterrandienne, les figures de l’anticommunisme de « gauche » qui dirigeaient une partie du mouvement étudiant n’ont fondamentalement jamais changé de camp social : changeant sans cesse de postures au fur et à mesure que « le vent d’ouest l’emportait sur le vent d’est », – que la contre-offensive capitaliste consécutive à la défaite des USA au Vietnam rendait l’initiative politique au camp capitaliste – ils ont toujours combattu avant tout les communistes, la CGT, l’URSS, et aussi, secondairement, l’idée de nations indépendantes, attaquant moins De Gaulle sur ce qu’il avait de pire – son hostilité à la démocratie et aux revendications ouvrières – que sur son refus patriotique d’aligner la France sur l’impérialisme US. A la fin des années 70, l’alliance ouverte de Chou En Laï, le successeur de Mao, avec le criminel de guerre états-unien Nixon, puis la supplantation électorale du PCF par Mitterrand en 81 auront permis à nombre d’ex-dirigeants gauchistes de rallier officiellement la social-démocratie[2], puis l’atlantisme et la « construction » européenne, voire, pour certains d’entre eux comme les « léninistes » Lecourt ou Kessler, d’accéder aux plus hautes sphères du CNPF, l’ancêtre de l’actuel MEDEF. Comme sur une bande de Moebius où, sans solution de continuité, on passe en continu du dedans au dehors du ruban et vice-versa, n’ayant pour seule boussole que l’anticommunisme (et, secondairement, l’antigaullisme...), disposant de l’appui constant d’une bonne partie de la presse bourgeoise d’alors, Nouvel Obs en tête, ces lugubres héros seront passés sans débotter de l’antisoviétisme « de gôche » de leur belle jeunesse « révolutionnaire » à l’antisoviétisme et à la russophobie ouvertement atlantiques, européistes et bellicistes de notre belle époque contre-révolutionnaire : il s’est donc moins agi pour eux d’une « trahison » que d’un accomplissement plénier de leur choix de classe initial, que d’une « continuation de leur guerre anticommuniste, antisoviétique et anti-cégétiste par d’autres moyens », dont on peut se demander s’il a toujours été si inconscient que cela[3], sinon pour Alain Finkielkraut, du moins pour les plus intelligents d’entre eux : ces derniers savaient fort bien pourquoi, à l’époque, l’impérialisme américain choisissait de prendre à revers l’URSS en se rapprochant de la Chine post-maoïste, pourquoi le parti américain du député Lecanuet votait la censure contre De Gaulle au plein mois de mai et pourquoi en France, la grande bourgeoisie et son aile social-démocrate (Defferre, Mendès-France, Mitterrand...) s’efforçaient de construire alors une forme d’ « alliance de revers » anticommuniste pour bloquer politiquement et défaire « culturellement » le bloc PCF-CGT en feignant de le « déborder par la gauche » : souvenons-nous qu’à l’issue des législatives de 1967, le PCF était redevenu, avec 22,7% des voix, le premier parti de France, qu’il dépassait largement la « Fédération de la gauche socialiste et démocrate » (FGDS) de Mitterrand, et que De Gaulle n’avait plus que deux voix de majorité à l’Assemblée nationale... Ne parlons pas de la CFDT, plus gauchiste que tout le monde durant la décennie 68-78 : succédant à Eugène Descamps à la tête de cet ex-syndicat confessionnel, Edmond Maire n’eut d’ailleurs guère à attendre pour prendre la tête de la croisade anticommuniste et anti-cégétiste à la file de Walesa, le « syndicaliste » favori du Pape et de la C.I.A., au début des années 80. Troquant elle aussi rapidement l’anticommunisme « de gôche » contre l’anticommunisme de droite, européiste et atlantique, la CFDT n’eut bientôt plus qu’à terminer sa trajectoire contre-révolutionnaire dans la peau d’un syndicat jaune accompagnant, voire précédant toutes les contre-réformes exigées par Bruxelles, par la BCE, par le MEDEF et par le gouvernement Macron...
Des thématiques sociétales justes en elles-mêmes, mais dévoyées et « boboïsées ».
Quant aux problématiques libertaires, sexuelles, sociétales, féministes dont la doxa journalistique actuelle crédite ordinairement la direction petite-bourgeoise du mouvement étudiant, outre qu’elles n’étaient pas toujours si clairement que cela au centre de ce mouvement (notamment pas tant que cela le féminisme[4], et pas du tout l’écologie), il faut surtout noter qu’elles n’étaient que trop souvent opposées aux revendications « alimentaires » et « quantitatives » (sic) du mouvement ouvrier, sottement accusé de rallier la « société de consommation » parce que les millions d’OS et d’ouvriers d’usine adhérents à la CGT voulaient obtenir la retraite à 60 ans, la cinquième semaine de congés payés, des salaires permettant enfin de vivre dignement, l’accès ô combien naturel des femmes ouvrières aux biens électroménagers dont la bourgeoisie grande et moyenne disposait depuis longtemps mais que les ouvriers n’avaient que le droit de produire à la chaîne en touchant des salaires misérables.
Alors que le combat « sociétal » pour émanciper les femmes des chaînes patriarcales ne prend tout son sens qu’en s’associant au combat anticapitaliste pour une société sans classes, alors que symétriquement le combat anticapitaliste ne peut conduire à la société communiste sans classes qu’en brisant toutes les aliénations, y compris sexuelles, et toutes les déprédations capitalistes, y compris et surtout le saccage de l’environnement au nom du profit maximal, l’opposition pseudo-révolutionnaire entre « quantitatif » et « qualitatif », la condamnation abstraite, non pas du mode de production capitaliste exploiteur, mais de « la société de consommation » (sans se demander qui consomme trop et qui ne consomme pas assez, ni se demander si, comme l’a montré Marx, le mode de consommation est une dimension du mode de production...) frisait alors le mépris de classe le plus glacial.
Or, les fondateurs du marxisme n’ont jamais opposé les légitimes revendications quotidiennes du prolétariat à l’engagement révolutionnaire pour changer la société ; Lénine remarquait seulement que « les réformes sont la retombée du combat révolutionnaire » et les communistes d’alors, ceux des usines comme les étudiants d’origine populaire, alors très minoritaires, qui militaient à l’Union des Etudiants Communistes puis à l’UNEF-Renouveau, avaient raison de réclamer de l’argent pour les travailleurs, une allocation d’études pour les étudiants pauvres, et de scander dans les manifs des années 70 « Des crédits pour l’école, pas pour les monopoles ! ». En effet, ce n’est pas le fait de lutter pour des avancées sociales dans le cadre de la société capitaliste (pensons aux immenses avancées mises en œuvre par les ministres communistes de 1945, ou aux conquêtes sociales de 1905 ou de 1936), quand le rapport des forces interdit d’obtenir plus, qui définit le « réformisme », c’est seulement l’idée erronée que les réformes se suffisent à elles-mêmes, qu’on peut les obtenir en marchandant avec le patronat et qu’il serait possible de les « engranger » sans contester le cadre capitaliste lui-même, comme le prétendent les syndicats de collaboration des classes qui n’ont jamais obtenus par eux-mêmes que des contre-réformes et du donnant-perdant. Aujourd’hui encore, c’est en feignant de libérer les femmes ou de défendre l’environnement (« Make the Planet great again ! »), que Macron et ses porteurs d’eau idéologiques, les Marlène Schiappa et autre Nicolas Hulot, couvrent d’un masque « progressiste » le démontage des acquis sociaux, de la souveraineté des peuples, des droits des femmes (premières ciblées par la casse des statuts, de la sécu, des retraites, du Code du travail, des conventions collectives, de l’Inspection du travail, des services publics...) et de l’environnement (qu’achèveraient de dégrader les traités néolibéraux « transatlantiques » tels que le « CETA »).
De l’idéologie libertaire au libéralisme, voire au « libertarisme ».
Elle aussi encensée par l’actuelle presse néolibérale, une autre faiblesse déjà notée des chefs petit-bourgeois du gauchisme étudiant tenait à leur hostilité de principe à l’encontre de la nation française, sottement amalgamée au néocolonialisme de ses chefs bourgeois, à leur refus « libertaire » de toute discipline librement consentie (on pense au stupide « il est interdit d’interdire »), à leur rejet des partis – surtout du PCF, cette cristallisation historique de la subjectivité historique construite du prolétariat de France ! –, à leur horreur (toute provisoire quand on voit leur ralliement ultérieur à Mitterrand !) du combat électoral (« élections piège à cons ! »), comme si le prolétariat ne devait pas, sauf cas particulier, combiner l’ensemble des moyens de lutte susceptibles de lui conférer le rôle directeur dans le changement de société ; comme si l’ennemi principal du progrès humain n’était pas le grand capital impérialiste, dont les appareils répressifs d’Etat ne sont que des instruments, et non ces présupposés de toute vie démocratique que sont la souveraineté nationale (« L’émancipation nationale est le socle de l’émancipation sociale »,disait Jaurès), la conquête de droits formellement égaux permettant d’élargir les luttes ; comme si le grand démocrate révolutionnaire qu’était Rousseau n’avait pas démontré dans le Contrat social que la liberté n’est pas l’individualisme sauvage, ce socle de la loi du plus riche, alors que « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté » ! Tout cela fut posé, au moins autant contre l’ordre patriarcal incarné par De Gaulle – et en ce sens le mai des étudiants et des jeunes ouvriers fut très positif pour « décoincer » la société – que contre la conception prolétarienne et républicaine de l’ordre. Au final, ce « libertarisme » se retourne comme un gant et fait boomerang contre ses auteurs ; car dénué de substance prolétarienne et anticapitaliste, tourné contre le patriotisme républicain et récupéré par le supranationalisme euro-atlantique, brisant l’alliance historique des femmes et du prolétariat que symbolisent jusqu’à nos jours les noms de Louise Michel, de Clara Zetkin ou de la trop méconnue Martha Desrumeaux, cet esprit libertaire dévoyé s’est recyclé en néolibéralisme franchement capitaliste, en défense acharnée de l’ordre impérialiste mondial (le prétendu « droit d’ingérence humanitaire » des grandes puissances capitalistes dans les affaires des pays du Sud et de l’Est), en droit à l’irresponsabilité à l’égard des engagements parentaux de tant de couples. Il est trop aisé de voir qui y a gagné, l’impérialisme, le grand capital, les couches moyennes supérieures du secteur parasitaire et financier (com, pub, finances, etc.), tout ce dont Macron est le nom après Sarkozy et Hollande, et qui y a massivement perdu : ouvriers et paysans massivement déclassés, ainsi que leur progéniture, par la casse néolibérale du produire en France, agents du service public maltraités par les « critères de Maastricht » et les euro-privatisations, millions d’enfants privés de repères culturels et familiaux clairs, Education nationale brièvement émancipée de la très autoritaire école de Jules Ferry pour tomber aussitôt hélas sous le double lien pervers du « il est interdit d’interdire » et d’un pédagogisme qui est aux antipodes des exigences d’une authentique pédagogie progressiste ; avec à l’arrivée des classes populaires déboussolées (les unes tentées par le racisme, les autres par le communautarisme religieux), une grande bourgeoisie déguisant sa férocité foncière en « bienveillance » dégoulinante, sans parler des couches moyennes ballottées entre l’auto-phobie nationale des bobos et l’agressive xénophobie du FN et des beaufs...
Tous ces aspects faibles, voire inquiétants de Mai 68, le PCF de Waldeck Rochet et de Jacques Duclos sut, grosso modo, les déceler à l’époque. Ils étaient liés, derrière le peinturlurage « mao », anar, trotskiste, « situationniste » des manifs, à la composition très bourgeoise et petite-bourgeoise de l’Université d’alors : seuls 20% d’une classe d’âge accédait alors, non pas même à l’enseignement supérieur, mais... à la Seconde ! Et bien entendu, ces orientations objectivement contre-révolutionnaires, qui se mêlaient inextricablement à des aspirations subjectivement révolutionnaires, furent méthodiquement cultivées, d’abord par la social-démocratie mitterrandienne, qui ne prit le pouvoir en 1981 que pour enterrer le PCF et l’essentiel des revendications ouvrières, mais par la dérive social-démocrate du PCF l’ainsi-dite « mutation » qui, soumis à d’incessantes campagnes antisoviétiques, à la casse bourgeoise organisée du produire en France industriel et agricole (donc au déclassement massif de ses deux classes d’appui, le prolétariat industriel et la petite paysannerie), à la surreprésentation des couches moyennes salariées dans ses propres rangs et, last and least, à la restauration mondiale de l’exploitation capitaliste, aura fini lui-même par s’ « euro-communiser » avant de se dé-marxiser, de se déprolétariser, de se « boboïser » et pour finir, de se décommuniser presque entièrement.

II – Se réapproprier les points de force du grand mouvement ouvrier et populaire de Mai-Juin 1968

Si mai-juin 68 n’avait eu que les côtés faibles que nous venons d’énumérer, les travailleurs et la jeunesse en lutte en ce printemps 2018 n’auraient que faire des références à cet immense mouvement populaire qui vit neuf millions de travailleurs faire grève et occuper les entreprises pendant que les étudiants et les lycéens prenaient possession des lycées et des universités. A l’inverse, le « syndrome de Mai 68 » ne continuerait pas à provoquer la rage des éditorialistes réactionnaires qui craignent plus que tout le blocage du profit capitaliste et le « tous ensemble » des travailleurs et de la jeunesse.
Mai 68 plus grande grève de l’histoire : 11 millions de travailleurs en grève, bloquant la production
Car les « évènements » de mai 68 sont le pseudonyme pudique d’une immense grève dure, plus forte et plus étendue encore que celle qui, en juin 36, avait forcé Blum à lâcher bien plus que ce que promettait le programme du Front populaire. Drapeau rouge en tête, les travailleurs et les étudiants du printemps 1968 ne sont pas alors entrés en lutte pour « témoigner de leur mécontentement », mais pour gagner offensivement sur les revendications, voire – si l’occasion se présentait vraiment – pour dégager le régime de pouvoir personnel institué en mai 1958 (« Dix ans, ça suffit ! »), voire – s’agissant de l’avant-garde du mouvement ouvrier – pour jeter les bases d’une large alternative antimonopoliste et anticapitaliste (« Gouverne-ment / populair’ ! » clamaient alors les cortèges CGT). En conséquence, alors que le mouvement populaire se cherche en cet hésitant printemps 2018, alors que les pressions convergentes de la CFDT et de la Confédération européenne des syndicats visent à bloquer le syndicalisme dans le « dialogue social » à vide et dans l’accompagnement de l’ajustement structurel euro-atlantique, être fidèle à 68 consiste à réapprendre la dynamique du tous ensemble en même temps pour gagner qui permit en mai 68 de mettre le pouvoir sur la défensive, d’arracher la légalisation de la section syndicale d’entreprise, de gagner des avancées démocratiques à l’Université et d’obtenir les plus grandes augmentations de salaire depuis le Front populaire.
Un autre enseignement de Mai 68 consiste en ce constat très actuel : la convergence des luttes étudiantes et du combat ouvrier est décisive pour placer le mouvement populaire à l’offensive. N’est-ce pas ce qui peut se mettre en place sous nos yeux avec l’essor des blocages de fac, les grèves à répétition des cheminots et celles, annoncées, de l’EDF, des fonctionnaires, des éboueurs, d’Air-France ? Encore faut-il que les militants franchement communistes et que les syndicalistes de classe expliquent crûment, comme l’a fait d’emblée le PRCF, que le mouvement social fasse face à une offensive euro-thatchérienne d’une cohérence maximale : si l’on a saisi que la « construction » européenne vise notamment à une baisse drastique du « coût du travail » et que cette offensive patronale passe par la destruction des statuts publics, des conventions salariales nationales de branche, du Code national du travail, des concours de la fonction publique, on comprend que le pouvoir veuille en finir avec le bac national, point-origine de l’étalonnage des conventions salariales, et en cascade, avec la destruction des diplômes nationaux délivrés par l’Université et par l’Education nationale. Combien serait-il plus avantageux pour lui, et combien plus désavantageux pour les lycéens et pour les étudiants futurs salariés, de ne plus dépendre des professeurs-fonctionnaires – ces alliés objectifs des jeunes en formation et des travailleurs du privé – pour mesurer les qualifications, d’avoir affaire à un bac dévalué car délivré en contrôle continu à l’échelle locale, à une université de plus en plus sélective (donc à l’arrivée prématurée de centaines de milliers de jeunes sur le marché de l’emploi : forte pression sur les salaires en vue), à une substitution des « certifications de compétences rechargeables » délivrées par des organismes privés, et au remplacement rapide des Lycées pros et des filières technologiques par un apprentissage entièrement capté par le MEDEF et la CG-PME : ce serait la fin, non seulement des concours de recrutement national de la fonction publique, mais des conventions salariales nationales avec à la clé, une chute vertigineuse des salaires (chaque salarié négociant désormais « pour sa peau », avec un rapport des forces catastrophique avec les employeurs) et un arrachage irréversible des garanties sociales conquises de haute lutte dans un cadre juridique national. Ici, le rôle des communistes est particulièrement important car qui, en dehors d’eux, peut réellement expliquer qu’à la cohérence sociale et nationale du CNR et des ministres communistes de la Libération, s’oppose radicalement la cohérence patronale et euro-atlantique d’une régulation sociale entièrement favorable au capital ?
Sur un plan plus directement politique, il faut répéter que Mai 68 eût été radicalement impossible sans le rapport des forces général entre capital et travail que permettait d’instaurer la force militante, la puissance électorale et l’orientation anticapitaliste du PCF, alors dirigé par Rochet, Duclos et Marchais, et de la CGT de classe et de masse pilotée notamment par les communistes et anciens résistants patriotes qu’étaient Benoît Frachon, Georges Séguy et Henri Krazucki. A ceux qui ne cessent de mettre en avant les « difficultés » du PCF en 1968, de même qu’aux anticommunistes adeptes de la pensée magique, il convient de rappeler que l’« explosion sociale imprévisible » de mai avait été précédée, non seulement 
par une quinzaine d’années de luttes anticoloniales principalement portées par le PCF (il suffit de mentionner les communistes Henri Alleg, Maurice Audin, Henri Martin, Madeleine Riffaud, ces figures de proue du combat anticolonial en Algérie ou en Indochine),
par les grèves de masse répétées de la CGT, durant toute l’année 1967, contre les ordonnances de Pompidou-Giscard sabrant la Sécurité sociale,
par la presque victoire des forces de gauche aux législatives de 1967, la « majorité » gaulliste au parlement ne se maintenant qu’à deux voix près, la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS, ancêtre du PS d’Epinay) de Mitterrand obtenant 18% des suffrages tandis que le PCF redevenait le premier parti de France avec 22,7% des voix, ce qui le qualifiait pour devenir le chef de file d’un éventuel bloc de gauche parvenant au pouvoir (au grand dam de Mitterrand et de Mendès-France qui feront tout, en mai 68, y compris la grotesque opération pseudo-révolutionnaire du stade Charléty, pour marginaliser le PCF et pour se présenter en force alternative au gaullisme),
par la force des thèmes révolutionnaires et anticapitalistes que le PCF faisait alors infuser dans la société française avec une série de journaux et d’associations de masse porteuses d’alternatives sur toute une série de sujets.
Il suffit de comparer la situation d’alors avec celle du printemps 2018 pour mesurer l’énorme faiblesse que représentent, pour le mouvement populaire actuel, non seulement la dérive euro-réformiste, voire contre-réformiste du mouvement syndical (y compris hélas à la tête de la CGT et de la FSU), non seulement l’affaiblissement militant et électoral irréversible du PCF, mais la victoire au sein même de ce parti des conceptions anti-léninistes ; on pense à l’abandon total par le PCF, déjà à l’époque Marchais, du concept d’un parti d’avant-garde luttant à contre-courant de l’idéologie capitaliste, tout cela étant couronné par l’affiliation ô combien aliénante dudit PCF au « Parti de la Gauche Européenne ».
Enorme contresens historique que cet abandon du concept d’avant-garde, car en nos temps de « com », de « pub » et de « plans média » intensifs, cette phrase fondatrice de Marx et d’Engels est plus vraie que jamais : « Dans toute société divisée en classes, les idées dominantes sont les idées de la classe dominante car ceux qui possèdent les moyens de production matériels disposent aussi du même coup des moyens de production spirituels ». Un constat socio-historique irréfragable dont Lénine avait su tirer la conclusion logique : « Pas de mouvement révolutionnaire sans théorie révolutionnaire ! », alors que le PCF actuel n’a cessé de dénigrer la théorie (ou à l’inverse, de la développer dans une sphère séparée) pour tenter de se banaliser en tant que « parti des gens » (le Pdg !).
Quant à la CGT, même si s’y développent des contre-tendances bien venues[5], on voit combien son embourbement pluri-décennal dans les conceptions réformistes du « syndicalisme rassemblé » (= l’unité paralysante avec la CFDT jaunâtre), son affiliation tétanisante à la Confédération Européenne des Syndicats (pro-Maastricht, pro-TCE...), ses illusions incroyables sur l’ « Europe sociale », sur le « socle social européen », sur le « service public européen » et autres billevesées, pèsent lourdement sur les luttes, leur interdit de se fédérer nationalement et internationalement : en effet, chaque fédération professionnelle de la CGT est invitée à combattre telle ou telle loi « française » cadrée par une directive européenne sans que jamais le retrait de ces euro-directives ne soit exigé, ni a fortiori que ne soit le moins du monde frappée à la tête la « tête » par toute la confédération cette pieuvre malfaisante qui orchestre la casse des acquis et des souverainetés à l’échelle du sous-continent. D’autant que cette sanctuarisation de principe de la confédération CGT empêche également de combattre frontalement la marche aux guerres impérialistes euro-atlantiques et la mise en place d’une « Union transatlantique » voulue par le MEDEF (« CETA », « TAFTA ») étroitement soumise à l’OTAN...
Deux autres manques gravissimes, sur le plan politique, pèsent sur les luttes : font gravement défaut désormais...
- l’engagement continu pour la paix et pour le progrès social d’un camp socialiste mondial dont les directions respectives du PCF et de la CGT ont salué l’autodestruction contre-révolutionnaire au décours des années 80/90 en présentant celle-ci comme un « bouleversement démocratique ». Précisons : ce n’est pas seulement la démolition objective du camp socialiste qui a déséquilibré mondialement le rapport de forces entre capital et travail et qui pèse indirectement sur le rapport des forces dans notre pays : plus grave encore, le fait que cette contre-révolution, dont la juste interprétation par F. Castro a permis au peuple cubain de tenir bon jusqu’à nos jours, voire d’armer la contre-attaque progressiste de l’ALBA en Amérique latine, a été interprétée à faux et à contre chez nous, y compris par des dirigeants que les masses considéraient comme autant de boussoles vivantes du mouvement social. Car depuis trente ans, les directions respectives du PCF et de la CGT confondent allègrement le vent d’est avec le vent d’ouest en acceptant dans son principe (sinon dans ses modalités, inséparables des traités supranationaux) la hideuse « construction » euro-atlantique tout en fermant les yeux sur la criminalisation des « rouges » en Europe de l’Est avec la conséquence logique qui en résulte : la banalisation des nostalgiques de Hitler (Hongrie, Autriche, Ukraine, pays baltes, micro-Etats ethniques issus de l’ex-Yougoslavie, sans parler de la montée de l’A.f.D. en Allemagne...), ces meilleurs élèves de la classe anticommuniste, et la marche à grand pas de la nouvelle Europe allemande, sous tutelle états-unienne, vers la fascisation (des lois antigrève partout, pour commencer !) et, pour couronner le tout, vers une nouvelle guerre antirusse dont la préparation est largement engagée par l’UE associée à l’OTAN.
- une grande perspective socialiste et révolutionnaire au profit d’un « syndicalisme pragmatique » qui, sous couvert d’ « indépendance politique », voire d’ « apolitisme » hypocrite, n’apporte plus que des contre-réformes améliorant à la marge (et encore !) les directives antisociales prescrites depuis Bruxelles. Remarquons qu’à toutes les époques où le syndicalisme a apporté de grandes avancées en France, que ce soit sous l’égide de la CGT anarcho-syndicaliste d’avant 1914, en 1936, en 1945 (programme du CNR), en 1968, ces avancées avaient pour arrière-plan une lutte politique pour le changement de société et donc, quelle que soit la manière dont on pouvait concevoir cette idée, une lutte très claire sur la question du « qui l’emportera ? » de la classe capitaliste ou du monde du travail. C’est ce que Lénine, qui ne méprisait nullement les avancées partielles, résumait dialectiquement en déclarant : « Les réformes sont les retombées de la lutte révolutionnaire » ou encore : « On ne peut avancer d’un pas si l’on craint de marcher au socialisme ».
Notons en outre que, dès qu’éclate une grève générale comme celle de 1968, la lutte prend forcément un tour politique : l’arrêt de travail massif ébranle et ridiculise le pouvoir du capital dès lors que tous ensemble et en même temps les salariés croisent les bras et n’obéissent plus aux capitalistes. Chacun découvre alors non sans émerveillement que sans la « servitude volontaire » des salariés, les capitalistes ne sont rien et qu’en définitive, c’est bien le travail qui produit toutes les richesses d’un pays !
Or, depuis les années 90, pour montrer patte blanche aux dirigeants syndicaux réformistes (principalement anglais et allemands) de la Confédération Européenne des Syndicats, qui en faisaient une condition d’affiliation, les dirigeants de la C.G.T. ont accepté, non seulement de quitter la F.S.M., mais de purger les statuts confédéraux de la référence à l’expropriation capitaliste, à la socialisation des moyens de production et à l’extinction parallèle du patronat et du salariat. Comme l’a maintes fois noté Stéphane Sirot, l’historien bien connu du syndicalisme, les « vases communicants » idéologiques ont aussi fonctionné à ce niveau puisque, tandis que les syndicalistes CGT renonçaient au syndicalisme révolutionnaire de naguère (« la CGT ne se dit pas anticapitaliste », a récemment redit Ph. Martinez !), le MEDEF et l’UE affichaient leur adhésion à l’utopie néolibérale du tout-marché, du supranationalisme européen, de l’ubérisation générale, du tout-anglais mondialisé et de l’atlantisme exacerbé, comme l’affiche cyniquement le Manifeste patronal Besoin d’aire publié en décembre 2011. En outre, comment peut-on fédérer les luttes et construire le tous ensemble quand, sous couvert d’apolitisme, et aussi pour ne pas égratigner la sacro-sainte « Europe », on ne montre pas aux acteurs des différents secteurs en lutte la cohérence sociopolitique des attaques et qu’on ne leur oppose pas notre contre-cohérence de classe, celle
d’une sortie par la gauche de l’UE-OTAN,
d’une nationalisation démocratiquement gérée des secteurs-clés de l’économie,
d’une coopération internationale et transcontinentale brisant les chaînes de l’UE, du libre-échange transatlantique et de la « concurrence libre et non faussée » telle que l’entendent les transnationales,
de l’Europe des luttes contre la dictature européenne
d’un ample front patriotique et progressiste isolant le grand capital et rouvrant, non pas verbalement mais pratiquement, la voie du socialisme pour la France ?

III – Pour une autocritique communiste et marxiste sur les évènements de 68

Est-ce à dire que les directions respectives du PCF et de la CGT ont parfaitement géré leur participation au mouvement de Mai 68 et à ses suites sociopolitiques ? Certes non ! Sans quoi on ne comprendrait pas comment :
toute une part de la jeunesse radicalisée d’alors a choisi en 68 la fuite en avant dans le gauchisme le plus irrationnel,
la plupart des ex-« soixante-huitards » intégrés à la société bourgeoise durant les années 70 a ensuite opéré un virage réformiste impressionnant en ralliant Mitterrand, ce qui a permis aux mêmes personnes de prendre successivement le PCF et la CGT, « de gauche », puis « de droite ».
La première critique que l’on puisse rétrospectivement adresser aux dirigeants du PCF et de la CGT d’alors est d’avoir adopté une attitude foncièrement défensive à l’égard de la jeunesse étudiante. Dans bien des cas, on s’est barricadé dans les usines en grève au lieu d’avoir la démarche conquérante contraire, celle qui eût consisté à aller vers les étudiants en lutte pour faire en sorte que leur juste révolte cible l’ennemi principal : le pouvoir des monopoles capitalistes. Bref, il ne s’agissait ni de flatter la révolte petite-bourgeoise, au risque de mettre les prolétaires à la remorque du gauchisme (et à travers lui, de Mendès-France et de Mitterrand, voir ci-dessous), ni de choisir le repli et l’isolement, – autre façon d’abandonner le terrain à la social-démocratie flanquée de l’éternelle CFDT – mais de tout faire pour qu’émerge un large front sociopolitique dirigé par les ouvriers et orienté vers la rupture avec le pouvoir des monopoles capitalistes. En effet, la ligne léniniste ne coïncide ni avec l’opportunisme des dirigeants CFDT, lesquels firent mine de soutenir le gauchisme pour mieux le manœuvrer, ni avec l’isolement frileux, elle se confond au contraire avec l’action pour construire un large front antimonopoliste dirigé par le prolétariat.
Encore fallait-il, pour que cette offensive devînt possible, que les communistes français se fussent dotés à temps d’une ligne offensive sur les plans idéologique et politique. Or, sur le plan idéologique et culturel, et bien qu’il ait longtemps été en pointe sur les questions culturelles ou « sociétales », comme on dit aujourd’hui[6], le PCF de 1968 n’était plus suffisamment porteur des aspirations juvéniles à l’autogestion, à l’égalité, à la mise en cause des rapports de domination patriarcale telle que les incarnait alors le gaullisme. Encore moins aujourd’hui qu’hier, il n’y a lieu d’opposer le « social » au « sociétal », au contraire, le rôle du parti d’avant-garde est à tout moment de pointer toute la dimension anticapitaliste des combats pour l’égalité hommes-femmes, pour l’intervention démocratique des salariés sur le contenu du travail et des innovations techniques, pour la défense de l’environnement, etc. Inversement, les communistes se doivent de montrer que dans une société communiste « le développement de chacun est la clé du développement de tous » (Manifeste du Parti communiste, 1848) : la finalité ultime du communisme n’a rien à voir avec on ne sait quel « socialisme de caserne » et tout à voir avec la désaliénation générale des individus.
Sur le plan politique, la juste ligne stratégique du 7ème congrès de l’Internationale communiste (1935)[7] visant à isoler le grand capital au moyen d’un large Front antifasciste, patriotique, progressiste et anti-impérialiste, tendait de plus en plus en France à se réduire à une vision étriquée des alliances, celle de l’alliance électorale du PCF avec les forces social-démocrates autour d’un programme commun de gouvernement, bref à ce qu’on a nommé par la suite l’ « union de la gauche ». C’est moins le fait d’avoir cherché à tel ou tel moment telle ou telle alliance avec d’autres forces politiques, Fédération de la gauche (FGDS) incluse, pour isoler le capital, ébranler le régime de pouvoir personnel et rouvrir la route de la révolution, qui s’est alors révélée fautive, que le fait d’avoir fini par subordonner la construction de ce front, qui doit avant tout s’édifier « en bas », à un accord programmatique de sommet avec le PS : cela revenait en effet à donner à Mitterrand la clé du changement, ou plutôt, du non-changement assaisonné de mots d’ordre pseudo-insurrectionnels (meeting Mitterrand/Mendès du stade Charléty appelant à la mise en place immédiate d’un « gouvernement de transition »). Dans les conditions d’alors, de tels mots d’ordre surestimaient la décomposition de l’Etat bourgeois et contournaient totalement, voire éludaient irresponsablement, la question des appareils répressifs totalement maîtrisés par le tandem De Gaulle/Pompidou[8]. Dès lors, la priorité n’était plus le mouvement des masses, tendanciellement réduit au rôle de force de pression sur le PS, mais la conclusion formelle d’un accord gouvernemental avec ce dernier alors qu’en effet, le cap principal que doivent tenir des communistes confrontés à un mouvement de masse objectivement anticapitaliste est la croissance continue, quantitative et qualitative, de ce mouvement, sa capacité à diriger le changement social, les questions électorales étant subordonnées et non soumises à l’essor du mouvement populaire. Principale cible potentielle du pouvoir gaulliste[9], le PCF sous-estimait totalement la perversité politique de Mitterrand, cet anticommuniste passionnel, en particulier la totale inféodation de la Gauche mitterrandienne à l’Alliance atlantique et à ce qu’on n’appelait pas encore la « construction européenne ». On est consterné, quand on relit le programme commun de la gauche cosigné par Mitterrand et Marchais en juin 1972, par la maigreur et l’imprécision des chapitres relatifs à ces questions stratégiques que sont, et que demeurent plus que jamais, l’affiliation de la France à l’Europe et à l’OTAN. Bref, ce qui a sans doute le plus manqué en 1968, c’est l’engagement de masse du parti ouvrier sur un authentique programme communiste de rupture avec la domination des monopoles impliquant à la fois la nationalisation des grandes sociétés capitalistes, mais aussi la totale insoumission du pays à l’égard de l’Europe capitaliste et de l’OTAN, en reprenant des mains du général son programme inconséquent d’indépendance (toute relative, car contenue dans les limites du capitalisme) par rapport aux USA et au « Marché commun », comme on disait alors.
Cet électoralisme latent ouvrait en outre un espace excessif à l’expansion du romantisme révolutionnaire dans la jeunesse (salutaire, pourvu qu’il n’occulte pas la juste évaluation des rapports de forces). Autant le PCF avait raison de mettre en garde contre l’ « aventurisme » gauchiste, autant la conversion du PCUS post-staliniste aux « voies pacifiques au socialisme » pesaient sans doute unilatéralement sur son élaboration stratégique. Il faut dire qu’à l’échelle internationale, le schisme sino-soviétique qui opposait une direction soviétique de plus en plus assagie, tentée par l’adoption de certains aspects de la société capitaliste, à la Chine maoïste en proie à une furia égalitariste plus proche des antiques jacqueries chinoises que des enseignements scientifiques du marxisme. Pas facile en un mot pour le PCF d’alors de trouver la voie juste entre le gauchisme délirant des uns et le pragmatisme thermidorien plus ou moins latent des autres ni de dégager la « ligne de masse » entre ceux qui, d’un côté, idéalisaient la « lutte armée » quelles que soient les conditions objectives, et ceux qui, sous couvert de « réalisme », rabattaient le parti ouvrier vers la lutte électorale sans saisir que, dans toute révolution, les aspects armés et non armés se combinent de différentes manières selon les moments, le seul critère étant l’essor du mouvement populaire, l’accentuation continue de son initiative sociopolitique, sa capacité à unir le peuple, à isoler le pouvoir bourgeois, à démanteler son appareil répressif, à instaurer une nouvelle démocratie populaire tout en stoppant net les inévitables menées fascistes de la contre-révolution bourgeoise chauffée au rouge par la révolution.
Cependant il ne faut pas caricaturer l’intervention du PCF : dans les cortèges de 68 émergeaient peu à peu, grâce avant tout aux manifestations de masse et aux occupations d’usine de la CGT soutenue par le PCF, les slogans de masse « Dix ans, ça suffit ! », et surtout « union populaire ! » et « gouvernement populaire ! ». C’est également sur G. Séguy, notamment sur les responsables CGT de Renault-Billancourt qu’ont reposé les négociations de Grenelle qui débouchèrent sur de grandes avancées salariales (10% pour tous, 30% pour le SMIG !) et institutionnelles (section syndicale d’entreprise, droits nouveaux pour les étudiants) pour les travailleurs et la jeunesse. Fondamentalement, le PCF eut raison de considérer le Mai français comme le « premier affrontement de masse avec le pouvoir des monopoles ». Si le Mai des prolétaires n’a pu ébranler décisivement le pouvoir bourgeois, la responsabilité en incombe principalement à l’aventurisme irresponsable de Mitterrand et de son compère Mendès-France, dont la proposition de « gouvernement provisoire » visait principalement à écarter le PCF (et à travers lui, le prolétariat) de l’alternative, à refuser toute entente avec lui sur des objectifs politiques, à le reléguer dans un rôle d’appoint, alors même que – tous les témoignages de hauts fonctionnaires entourant alors De Gaulle le prouvent – le général considérait alors « les communistes » comme l’ennemi de classe principal[10]. Tous les témoignages montrent aussi que pour l’essentiel, s’il y a bien eu alors des manœuvres autour de Jean Lecanuet pour forcer Pompidou à ouvrir son gouvernement aux « centristes » hyper-atlantistes et européistes, l’appareil répressif d’Etat et sa haute direction ne se sont pas fissurés : tous les chefs militaires ont fait allégeance au chef de l’Etat bourgeois, la gendarmerie et les CRS sont restés monolithiques et De Gaulle s’est assuré par lui-même, en se rendant en catimini à Baden-Baden, le QG des troupes françaises en Allemagne, qu’il pourrait compter au besoin sur les chars du général Massu (ancien tortionnaire en Algérie) pour écraser le mouvement populaire et, très vraisemblablement, pour interdire le parti communiste.
En clair, affirmer que le PCF n’a pu, en raison de dérives politiques antérieures, mettre pleinement à profit la grève de masse de 68, ne signifie nullement qu’il aurait « trahi », comme le prétendent les mouches du coche trotskistes et maoïstes qui n’avaient pas, de très loin s’en faut, la responsabilité du mouvement de masse prolétarien. En clair, la critique des tâtonnements des directions PCF et CGT en 1968 relève de l’analyse de ce que Mao appelait « les contradictions au sein du peuple », voire du débat autocritique salutaire entre révolutionnaires : rien à voir avec la trahison assumée de Léon Blum en 1936, lequel n’a pris la direction gouvernementale du Front populaire que pour, très vite, franchir dans le mauvais sens la barricade de classes, décréter précipitamment la « pause » sociale et refuser d’intervenir en Espagne pour éviter à notre pays d’être pris en tenaille par les fascistes allemands, italiens et ibériques. A l’inverse de ce qui s’est passé en 68, les dérives ultérieures du PCF que résument les mots « eurocommunisme », « mutation », « Parti de la gauche européenne », ou l’évolution réformiste de la direction confédérale CGT quittant la FSM « de classe » pour rallier la Confédération européenne des syndicats, relèvent bien du franchissement de la barricade de classes tant la « construction européenne » constitue le cœur de stratégie du MEDEF actuel. Là il s’est tendanciellement agi d’un changement de camp puisqu’en réalité, l’alliance gagnante scellée entre 1936 et 1945 entre le drapeau rouge et le drapeau tricolore a été rompue pour permettre aux organisations historiques du prolétariat français de rallier dans son principe la « construction » européenne, tout en lâchant le camp socialiste et en reniant l’objectif clair de la révolution socialiste et de la dictature du prolétariat. Mais dès lors que les organisations prolétariennes historiquement garantes de la lutte pour le socialisme rompaient le fil qui les reliait au léninisme, à l’engagement pour l’indépendance de la France et au camp mondial du Travail, plus rien n’empêchait les autres forces sociopolitiques françaises, ex- « soixante-huitards » petits bourgeois inclus, de dériver vers la social-démocratie, vers la droite ou l’ultra-droite, le PS devenant de plus en plus libéral, la droite « modérée » s’affichant de plus en plus réactionnaire et xénophobe, si bien que le FN s’est peu à peu mué en principal point d’ancrage de toute la société politique...

Conclusion

Alors qu’un bras de fer vital est engagé entre le monde du travail et ce concentré de néolibéralisme, d’euro-atlantisme et de fascisation rampante qu’est le macronisme, il nous faut prendre appui, non sur les faiblesses petite-bourgeoises de Mai 68, principalement sur cet anticommunisme « de gauche » (sic) qui permit par la suite à Mitterrand, aidé par les directions de plus en plus opportunistes du PCF, d’isoler et de dénaturer les organisations de classe du prolétariat, mais sur les vrais points forts de ce mouvement. A nous de faire vivre au présent le tous ensemble du monde du travail et de la jeunesse, l’aspiration anticapitaliste à l’émancipation tous azimuts de la société, à nous de faire renaître un grand parti communiste et un fort syndicalisme rouge adossé à un large mouvement de masse refusant l’UE du capital : c’est la condition sine qua non pour que notre peuple renoue avec l’aspiration révolutionnaire à « changer la vie ».
Georges GASTAUD
[1] Toute honte bue, les figures de proue de l’intelligentsia soixante-huitarde fustigent aujourd’hui les « crimes du communisme » ! Mais les communistes français n’ont jamais couvert, eux, les exactions de la « Grande Révolution Culturelle Prolétarienne » chinoise, et encore moins les massacres du maoïste Pol Pot au Cambodge ! A l’inverse, les gouvernements occidentaux, Giscard d’Estaing en tête, ont reconnu jusqu’au bout les « représentants » à l’ONU du « roi » Norodom Sihanouk inféodé à Pol Pot !
[2] Outre celle des principaux chefs de file maoïstes, il faut signaler la performance de militants trotskistes comme Jospin ou Cambadélis qui devinrent très vite des étoiles du PS mitterrandien.
[3] Bénéfice secondaire de cette translation politique, ces maos français d’alors, à l’instar de la « Révolution culturelle » chinoise (ce mot désignant ici le contraire de ce que Lénine entendait par révolution culturelle : « pour construire le socialisme, de quoi avons-nous surtout besoin ?, demandait Lénine. Et il répondait ceci : « 1°) de nous instruire, 2°) de nous instruire encore, 3°) de nous instruire encore et toujours ! »), qu’ils idéalisaient, ont contribué à discréditer l’expression marxisme-léninisme tout en favorisant l’actuelle contre-attaque thermidorienne en Chine et ailleurs.
[4] Bien avant 68, le PCF des années 20/30 se comportait en avant-garde sociétale : il présentait des femmes et des immigrés (inéligibles) aux élections, menait campagne pour les vacances, pour le sport travailliste, pour l’EPS et pour l’aviation populaire, il associait l’action politique classique à l’agit-prop culturelle (Chœurs parlés à la Prévert) ou animait des campagnes pour l’« accouchement sans douleur » importé d’URSS.
[5] Récentes désaffiliations de la C.E.S. de la CGT Commerce, des UD-CGT 13 et 94, ainsi que de l’Union des syndicats de Monaco (USM) en Principauté, avec retour envisagé ou engagé à la FSM...
[6] Par ex. sur le vote des femmes, sur l’accouchement sans douleur, sur l’éducation physique et sportive, sur le droit aux vacances, etc.
[7] Portée par Georges Dimitrov et largement inspirée des innovations de Maurice Thorez et du Front populaire naissant.
[8] Si les chars du Général Massu, alors stationnés en Allemagne, avaient « normalisé » la situation (De Gaulle était allé à Baden-Baden pour ordonner à Massu de s’y préparer), qui donc eût alors payé le prix fort, sinon les communistes et la classe ouvrière ?
[9] Il suffit de penser à la sauvage répression anticommuniste qui avait frappé le parti quelques années plus tôt (Métro Charonne), aux saisies de l’Humanité, à la répression sauvage contre le journal communisant Alger républicain...
[10] Emission de France-Culture diffusée le 14 avril 2018. Témoignages du Général Massu, de P. de Boissieu, de M. Jobert, de Ph. de Gaulle, etc.

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