Après avoir été tenue pour quantité négligeable, la crise monétaire qui secoue la Turquie est désormais surveillée de près. En premier lieu en raison de l’exposition de plusieurs grandes banques européennes, dont BBVA, BNP Paribas et Unicredit, que la Banque des règlements internationaux estime globalement à 140 milliards de dollars. En second, à cause de la dépendance du pays dont près de la moitié des emprunts a été effectuée dans une devise étrangère, leur coût augmentant quand la livre turque baisse, aggravant à force le risque de défaut.
Mais cela ne s’arrête pas là. Dans ce monde financier opaque et systémique, où une nouvelle crise peut toujours se frayer un chemin imprévu, on ne peut jurer de rien. Dans un tout autre contexte, celle de la livre turque fait suite à celle du peso argentin, suite à une brutale fuite de capitaux. En quelques jours et en pure perte, le gouvernement a brûlé ses réserves et monté ses taux au-delà de 40%, sans pouvoir empêcher le peso de perdre plus de 10 % de sa valeur par rapport au dollar.
Les deux crises monétaires peuvent-elles être rapprochées ? Oui, si l’on prend en considération le mouvement irrésistible et massif de rapatriement des capitaux qui est en cours. Les pays émergents où ils faisaient leur beurre sont délaissés, et ils viennent rechercher aux États-Unis des placements plus intéressants en investissant dans la dette américaine dont la demande augmente fortement et le taux dépasse 3%.
D’autres monnaies pourraient d’ailleurs bientôt connaître le même sort. Selon l’enquête au second semestre de l’Emerging Markets Traders Association (EMTA) portant sur les Credit default swaps (CDS), ces assurances devenus indicateurs de la spéculation sur les monnaies, le Brésil aurait de sérieux soucis à se faire, ainsi que le Mexique, l’Afrique du Sud et la Russie. La hausse des taux de la Fed en est à l’origine, avec comme première conséquence constatée l’assèchement de la liquidité en dollars sur les marchés émergents.
La Fed ayant déversé dans le système financier 4.000 milliards de dollars afin de le stabiliser, les mouvements de capitaux qui secouaient auparavant le marché monétaire ont encore gagné en ampleur, la banque centrale américaine a choisi de précautionneusement remonter son taux directeur principal et a laissé pour après l’assèchement des liquidités. La première étape n’est pas sans effets, comme on le voit, qu’en sera-t-il de la seconde ?
Si les compteurs de la Fed ne peuvent pas être remis à zéro, pour ne pas prendre de risques inconsidérés, les masses financières grandissantes auxquelles rien ne peut être opposé vont continuer leurs déplacements dévastateurs pour l’économie. Le système monétaire pourra-t-il y résister ? Le dollar américain restera-t-il longtemps sa clé de voute alors que son émetteur s’enfonce dans l’endettement ? Le système financier ayant éludé toute réponse aux questions essentielles que sa crise a soulevé, la réforme du système monétaire international, qui réclame une version plus stable et régulée, va-t-elle également passer à la trappe et pour combien de temps ?
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