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14 de novembro de 2018

A dança de morte entre Roma e Bruxelas

Jaques Sapir .


 La réunion de l’association italienne A/Simetrie organisée par mon collègue Alberto Bagnai s’est déroulée le samedi 10 et le dimanche 11 novembre à Montesilvano, à proximité immédiate de Pescara. Elle a été un grand succès, avec plus de 800 participants (presse non comprise) venant de toute l’Italie. Cette association tient une réunion annuelle depuis plusieurs années. Il s’agissait ici de la 7ème réunion. Le fait que son fondateur, Alberto Bagnai, soit devenu le Président de la Commission aux Finances du Sénat italien, que son collègue Claudio Borghi soit pour sa part Président de la Commission au Budget de l’Assemblée nationale, donnait un relief tout particulier à la réunion de cette année. Le titre même de cette réunion, Souveraine sera-t-elle !, indiquait bien de quoi il s’agissait

Ce qu’est une réunion d’A/Simetrie…
La première chose frappante pour un participant à ce #Goofy7 était l’extrême diversité des participants de cette réunion. On trouvait des entrepreneurs, représentants typiques de cette fameuse « Troisième Italie » qui fit pendant des décennies la force de l’économie italienne et qui aujourd’hui souffre de l’Euro, mais aussi des universitaires, des étudiants, des blogueurs…Toutes les couches de la population étaient donc représentées. Cette diversité s’étendait aussi aux opinions politiques des participants, et l’on y trouvait bien entendu des représentants de l’alliance au pouvoir aujourd’hui à Rome (Lega et M5S) mais aussi des représentants de la gauche italienne, avec en particulier la présence de Stefano Fassina (Liberi i Uguali), de dissidents du Parti Démocrate, et bien des personnes sans attaches politiques particulières, venues à ce #Goofy7 pour y chercher des réponses à la crise qu’aujourd’hui l’Italie affronte. Cette volonté de débat, on en a eu une belle démonstration avec le forum informel conduit par Claudio Borghi jusqu’à plus de deux heures du matin dans le hall de l’hôtel où se tenait la réunion. Près de deux cents personnes participèrent à cette réunion informelle qui se fit dans une atmosphère enflamée.
Car, il ne fait pas de doute que l’Italie est aujourd’hui profondément en crise. J’en ai décrit les caractéristiques dans une note publiée ce printemps sur ce blog[1] ; je n’y reviendrai pas. Cette crise a pris une dimension dramatique quand le « Pont Morandi » s’est effondré à Gènes[2]. La situation actuelle impose donc des mesures de relance économique et de soutien à l’investissement. C’est ce qu’à décidé le gouvernement italien, on peut considérer comme timidement, mais néanmoins il va, sur ce point, dans la bonne direction. Cette opinion, personnelle, est partagée par A. Mody, qui fut le vice-directeur du service des recherches du Fond Monétaire International[3]. Les derniers chiffres révélés par le système statistique italien indiquent de plus que la petite croissance que le pays connaissait est en train de s’essouffler. La croissance cumulée sur quatre trimestres ne serait plus actuellement que de 0,8%.

Néanmoins, la décision du gouvernement italien, et la présentation du budget pour 2019[4], ont provoqué la colère de la Commission européenne. Il est clair que s’est engagé un véritable bras de fer entre les institutions de Bruxelles (et de Francfort) et le gouvernement italien[5]. Dans ce bras de fer, le gouvernement italien a reçu le soutien des dirigeants de la France Insoumise, qui ont compris que au-delà de la querelle sur les pourcentages, ce qui est en cause c’est bien la question de la souveraineté de l’Italie[6]
La place centrale de la souveraineté dans le débat italien

C’est donc dans ce contexte tendu que s’est tenue la réunion #Goofy7. Que les responsables d’A/Simetrie aient décidé que cette réunion se ferait sur le thème de la souveraineté est un signe. C’est dans ce cadre que Brigitte Granville (Université Queen Mary de Londres) et moi-même sommes intervenus[7]. Ces interventions furent suivies d’une table ronde à laquelle participait Stefano Fassina, Alessandro Somma (Université de Florence) auteur d’un livre intitulé Sovranismi[8], Antonio Socci et Alberto Bagnai, puis le dimanche matin d’une table ronde intitulée L’Austérité et la cohésion de l’Eurozone (avec Alberto Bagnai, Sergio Cesaretto de l’université de Sienne, Claudio Borghi et Ricardo Realfonzo de l’Université du Sannio) et d’une autre sur le thème Réforme Structurelle : présidentialisme et parlementarisme à l’effondrement de la Seconde République, à laquelle participait le Sous-secrétaire à la politique européenne (Luciano Barra Caracciolo), la constitutionnaliste Ginevra Cerrina Feroni (Université de Florence), Gaetano Azzarini (Université La Sapienza de Rome) sous la coordination de Benedetto Ponti (Univeristé de Pérouse).
Lors de la table ronde de samedi après-midi, l’intervention de Stefano Fassina a marqué l’assistance. Son intervention fut centrée sur l’impérieuse nécessité de la souveraineté afin de redonner une possibilité d’existence aux luttes sociales, et sur le fait que ces luttes sociales sont en dernière instance la seule garantie qu’ont les classes populaires que leurs intérêts soient pris en compte. Il termina son intervention par un appel pour que les diverses forces défendant le concept de souveraineté puissent s’entendre et se coordonner afin de combattre Bruxelles et la Commission. Antonio Somma, pour sa part, construisit son intervention sur le nécessité de renationaliser la politique, point sur lequel Alberto Bagnai intervint, expliquant comment l’obligation constitutionnelle de traduire dans la loi italienne les réglementations européennes aboutissait à la paralysie progressive du processus législatif proprement italien, et donnait, de fait, à l’UE une forme de contrôle sur l’ordre du jour des assemblées élues par le peuple. Ce fait est aussi dénoncé par Alessandro Somma[9].
La première table ronde du dimanche matin porta essentiellement sur l’austérité et ses conséquences dans la zone Euro. La seconde mit bien en évidence la dérive que l’Italie connaît actuellement, avec une tentative de la part du Président de la République de s’attribuer un pouvoir de contrôle sur les textes produits par la représentation nationale, et le fait que dans ce contexte, le Président joue le rôle d’un chien de garde de l’Union européenne.

La stratégie du gouvernement italien
La question de la souveraineté et de la lutte pour recouvrer la souveraineté nationale est en train de devenir cruciale dans l’Italie aujourd’hui. Ce pays, lui aussi, traverse son « moment souverainiste ». Il faute comprendre aussi que le rapport des forces politiques a changé depuis les dernières élections. Si le M5S a un perdu (il passe de plus de 30% à environ 27% dans les sondages sur les intentions de votes) la Legacontinue de monter, atteignant actuellement près de 34% dans les sondages. En cas de dissolution, les italiens renverraient une assemblée nationale et un Sénat où les deux partis de la coalition seraient encore plus dominant qu’ils ne le sont aujourd’hui.
De fait, la ligne « eurosceptique » domine désormais le gouvernement italien, quel que soient les hésitations qui restent perceptibles dans l’appareil du M5S. Mais, la stratégie qui est aujourd’hui adoptée par le gouvernement italien consiste à contraindre l’UE de faire le premier pas. D’où les différentes propositions de compromis régulièrement émises par le gouvernement italien, mais dont ce dernier sait bien qu’elles sont en réalité inacceptables pour Bruxelles.
De fait, la situation est fondamentalement différente de celle de la Grèce en 2015. D’une part parce que l’Italie est un pays contributeur net au budget de l’UE. L’Italie, de fait, n’a pas besoin de l’argent européen puisqu’elle donne plus qu’elle ne reçoit. L’Italie est en fait en position de force face à l’UE. Mais, le gouvernement italien cherche, à l’évidence, à faire peser le poids de la rupture sur Bruxelles. C’est pourquoi, il évite toute déclaration inutilement provocatrice et cherche à obtenir un « compromis », tout en sachant pertinemment que Bruxelles le refusera. Le gouvernement italien et Bruxelles sont donc engagés dans une étrange danse : Rome est prêt à céder sur des détails, mais pas sur le fond alors que Bruxelles veut obtenir une capitulation totale du gouvernement italien, mais sait aussi qu’en cas de conflit ouvert les conséquences de ce conflit pourraient être désastreuses pour l’ensemble de l’Union européenne.
Cette « danse de la mort » va se poursuivre certainement jusqu’aux prochaines élections européennes. Ni Rome ni Bruxelles ne veulent prendre l’initiative d’une rupture. Mais, les marges de manœuvre de Bruxelles se réduisent de semaine en semaine. Si Bruxelles donne raison aux demandes italiennes, cela ouvre des brèches béantes dans l’ensemble du dispositif économiquement punitif de l’UE. D’autres pays n’attendent que cela pour s’y engouffrer. Si Bruxelles continue de faire preuve de rigidité, la crise éclatera, mais de la faute de Bruxelles et dans des conditions où l’Italie, parce qu’elle est un contributeur net au budget, plaide saisie
Ce scénario est très différent des positions ultimatistes que l’on entend en France, et même de la logique « Plan A / Plan B » développée par la France Insoumise. Mais, et la participation à #Goofy7 a permis de le vérifier, l’idée de souverainisme et la conscience de l’opposition radicale entre les intérêts du peuple italien et ceux de l’UE on fait des progrès considérables aujourd’hui en Italie.


[3] Voir le récent article A. Mody, l’ancien vice-directeur du service des recherches du FMI. https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2018-10-26/italy-s-budget-isn-t-as-crazy-as-it-seems
[4] Voir, Italy’s Draft Budgetary Plan 2019, publié le lundi 15 octobre sur le site officiel www.mef.gov.it
[8] http://temi.repubblica.it/micromega-online/un-sovranismo-democratico-per-un-nuovo-europeismo/ Le livre s’intitule Somma A., Sovranismi. Stato popolo e conflitto sociale, Florence, DeriveApprodi, 2018.
[9] Somma A., Maastricht, l’Europa della moneta e la cultura ordoliberale, in A. Barba et al., Rottamare Maastricht, Roma, 2016, p. 70 ss

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