Pierre Levy
La décennie 1990 a d’une part enclenché la plus forte vague historique de reculs sociaux en Europe et dans le monde. En France, en Allemagne, en Europe de l’Est, et en réalité sur tous les continents, pas une « réforme » imposée par l’oligarchie dominante qui n’ait été rendue possible par l’inversion cataclysmique du rapport de force en faveur du pouvoir des capitaux, et au détriment des peuples : privatisations, coupes dans la protection sociale, montée phénoménale des inégalités et de la pauvreté, limitations drastiques des droits des salariés et des syndicats – mais aussi mise sous le boisseau de la démocratie (par exemple par l’inversion des référendums portant sur l’intégration européenne).
Car la disparition du camp socialiste a ouvert un extraordinaire boulevard aux puissants. Nombreux sont les syndicalistes ouest-allemands (même les plus anticommunistes parmi eux) qui faisaient naguère cette confidence : avant la chute de l’Allemagne de l’Est, l’existence de cette dernière contraignait le patronat de RFA à maintenir un haut niveau d’acquis sociaux, afin d’éviter que le système en vigueur en RDA ne constitue une vitrine. L’annexion de ce pays a levé cette hypothèque et ouvert les vannes de la casse sociale, à commencer par la remise en cause des conventions collectives.
La disparition du camp socialiste a joué le même rôle au niveau mondial.(...)
(...)Ainsi, pour le dirigeant social-démocrate e ministro dos negócios estrangeiros da Alemanha, les citoyens descendus en 1989 dans les rues de Berlin-Est, de Dresde et d’ailleurs avaient un rêve en tête : réaliser l’« unification de l’Europe » (et pourquoi pas porter Ursula Von der Leyen à la tête de la Commission de Bruxelles, tant qu’on y est ?).
Pas sûr qu’une thèse aussi grotesque aurait pu être publiée à Berlin. Mais en s’adressant au public français, peut-être M. Maas espérait-il pouvoir impunément travestir la réalité. Car une très large majorité des citoyens de RDA qui ont manifesté pendant des mois en 1989 le faisaient dans l’espoir de réformer en profondeur ce pays, mais pas avec l’objectif d’abolir le socialisme, et encore moins d’être annexés par la République fédérale.
Et c’est seulement dans les tout derniers moments qu’à l’initiative (aujourd’hui avérée) de la CDU d’Helmut Kohl, le slogan « Nous sommes le peuple » (aspiration à plus de démocratie dans le cadre du socialisme) dériva vers « Nous sommes un peuple », qui visait ouvertement l’unification
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